Le sang des Borgia
qu’il a mis les Français en déroute !
— C’est un vantard sans cervelle, et ses forfanteries sont ridicules. Personne à Rome ne le croira. Mais il faut voir ce que nous pouvons faire pour réparer cette injustice envers vous.
Gonsalvo parut ne rien entendre :
— En Espagne, je l’aurais provoqué en duel ! Mais ici… Savez-vous que ce niais arrogant a ordonné la frappe d’une médaille de bronze commémorant ses exploits ?
— Une médaille ? demanda César en fronçant les sourcils. Il n’était au courant de rien.
— Elle le représentera de profil et portera la légende : M Juan Borgia, vainqueur d’Ostie.
César faillit éclater de rire, mais se retint ; mieux valait ne pas pousser Cordoba à bout :
— Ce titre vous revient, et tout le monde le sait parmi les troupes pontificales – sans parler des Français !
Le capitaine espagnol demeura insensible à l’éloge :
— Lui, vainqueur d’Ostie ! J’aurais dû le tuer ! Je le ferai peut-être…
Puis, tournant les talons, il rentra à l’intérieur du palais.
César resta sur le balcon et contempla le ciel noir, en se demandant s’il était bien possible que son frère et lui soient issus de la même mère. Puis, comme il allait regagner la salle de bal, quelque chose dans la cour retint son attention.
En dessous de lui, tout près d’une grande fontaine, Geoffroi discutait avec Cordoba et un autre homme, grand et mince. Le capitaine espagnol écoutait avec attention, son compagnon parcourait les lieux du regard, comme s’il cherchait quelqu’un. Ce fut pourtant Geoffroi qui surprit le plus son aîné : lui qui était d’ordinaire si affable, si indolent, avait une expression féroce que jamais César ne lui avait vue.
Il allait l’appeler quand il sentit une main se poser sur son épaule. Un doigt sur la bouche, Don Michelotto le fit reculer jusqu’à ce que tous deux soient dans l’ombre, où ils observèrent les trois hommes. Au bout d’un moment, Cordoba sourit et serra la main de Geoffroi. Comme celui-ci faisait de même avec leur compagnon, Don Michelotto aperçut furtivement, à la lueur de la lune, un reflet bleu, celui d’une topaze de forme irrégulière :
— César, il faut prendre garde : cet homme n’est autre que Vanni, un neveu des Orsini.
Puis il s’éloigna aussi vite qu’il était venu.
Une fois revenu dans le palais, César chercha Geoffroi, mais celui-ci semblait avoir disparu. Lucrèce dansait avec son mari, Juan avec sa belle-sœur. Tous deux riaient et semblaient se donner du bon temps. César, pourtant, s’inquiéta de voir Cordoba quitter les lieux : car, tout d’un coup, le capitaine espagnol semblait avoir l’esprit en paix.
11
Lucrèce, venue rejoindre son père et ses frères pour les festivités pascales, se trouvait dans ses appartements du palais de Santa Maria del Portico, quand le chambellan de Giovanni Sforza vint lui communiquer un message urgent. Son mari voulait qu’elle rentre avec lui à Pesaro : trouvant oppressante l’ambiance régnant à Rome, il souhaitait se soustraire à la vigilance du pape.
Accablée, elle écouta l’homme, tandis que Julia choisissait déjà des affaires qu’une servante se chargerait d’emballer. Lucrèce avait été incroyablement seule à Pesaro ; elle se sentait enfin renaître depuis son retour dans la Ville éternelle.
— Que faire ? s’exclama-t-elle. Ici comme là-bas, le duc ne semble pas se soucier de moi et, quand il lui arrive de me regarder, c’est sans affection aucune ! Et pourtant il veut que je l’accompagne !
Julia tenta de la consoler. Le chambellan se racla la gorge et, rassemblant tout son courage, demanda la permission de parler :
— Le duc est très épris de son épouse ! Il désire être en sa compagnie, et souhaite qu’elle revienne avec lui dans son duché, qu’il est libre de gouverner selon son bon plaisir.
— S’il en est ainsi, qu’il agisse comme il l’entend. Mais que deviendrai-je une fois de retour là-bas ? J’y mourrai de solitude ! Il n’y a rien à Pesaro qui puisse me retenir.
Julia s’excusa et quitta la pièce, un peu agacée : elle savait quels tourments tout cela imposerait à Alexandre.
— On frappa soudain à la porte :
C’est moi, César ! Puis-je entrer ?
Lucrèce ordonna aussitôt au chambellan de se dissimuler derrière un paravent – non sans ajouter qu’il ferait mieux de ne pas se trahir, car cela pourrait lui coûter la vie : César détestait
Weitere Kostenlose Bücher