Le sang des Borgia
Alexandre se contenta de griffonner quelques mots : « Mon très cher fils, c’est une proposition excellente. Tu as ma bénédiction. »
Quand César Borgia épousa Charlotte d’Albret, il y eut de grandes fêtes à Rome. Le souverain pontife fit notamment donner un énorme feu d’artifice qui illumina les cieux, tandis que des feux de joie brûlaient dans les rues.
Lucrèce était à Rome avec Alfonso. C’est avec horreur qu’elle vit l’un de ces feux allumé devant son palais de Santa Maria del Portica. Elle était certes heureuse pour son frère, mais qu’allait devenir son propre époux ? Car le mariage de César scellait une alliance avec la France qui, pour elle, mènerait tout droit au désastre.
On avait appris que le cardinal Sforza s’était enfui à Naples, avec plusieurs de ses confrères, et Alfonso s’inquiétait : l’avenir paraissait menaçant. Prenant Lucrèce dans ses bras, il lui dit :
— En cas d’invasion française, ma famille sera en danger. Je dois me rendre à Naples pour prendre le commandement des troupes, car mon père et mon oncle auront besoin de moi.
Elle se serra contre lui :
— Mais le Saint-Père m’a assuré que nous serions à l’abri ! Jamais il ne laissera les querelles politiques porter tort à notre amour !
Il la regarda tristement, balaya une mèche qui tombait sur les yeux de la jeune femme :
— Et tu le crois ?
Cette nuit-là, après avoir fait l’amour, ils restèrent longtemps éveillés, ne pouvant dormir. Puis, quand Alfonso entendit le souffle régulier de Lucrèce, il sortit du lit sans faire de bruit et se dirigea vers les écuries. Montant à cheval, il se dirigea vers le château des Colonna, au sud de Rome : c’est de là qu’au matin il comptait partir pour Naples.
Mais le pape avait mis le guet à ses trousses : il fut donc contraint de rester où il était, faute de quoi il serait ramené de force à Rome. Jour après jour, il écrivit à Lucrèce, la suppliant de lui pardonner. Mais jamais ses lettres ne parvinrent à son épouse : des agents du Vatican s’en emparaient et les remettaient au souverain pontife.
Jamais Lucrèce n’avait été aussi malheureuse. Son époux lui manquait désespérément – et pourquoi n’écrivait-il pas ? Elle l’aurait suivi à Naples, si elle n’avait pas été enceinte de six mois Mais elle n’osait plus entreprendre un voyage aussi périlleux, ayant déjà perdu un bébé en début d’année, suite à une chute de cheval. D’ailleurs, il lui faudrait s’enfuir furtivement de nuit, en échappant aux gardes pontificaux qui entouraient son palais.
Après son mariage, César passa encore plusieurs mois en France, en compagnie de sa nouvelle épouse, dans un petit château de la vallée de la Loire.
Il se sentait enfin en paix. La jeune femme était aussi intelligente, aussi belle, que Louis XII l’avait promis. Il émanait d’elle une profonde sérénité, et lui faire l’amour apaisait le fils du pape. Chaque jour, pourtant, il devait lutter avec lui-même, car son cœur appartenait toujours à Lucrèce.
Pendant un moment, la présence de Charlotte contrebalança le désir farouche que César avait d’entreprendre, de réussir, de vaincre. Le jeune couple passa des jours à se promener, à naviguer en barque sur les eaux paisibles du fleuve. Il tenta même de la convaincre de pêcher et de nager ; ils s’amusaient beaucoup.
Un soir, elle avoua :
— Je t’aime plus que je n’ai jamais aimé.
En dépit de son habituel cynisme, César la crut – et pourtant de telles paroles n’avaient pas l’importance qu’elles auraient dû avoir. Il tentait désespérément d’être de nouveau amoureux, mais quelque chose l’en empêchait. La nuit, alors même qu’ils faisaient l’amour, il se demandait s’il n’était pas maudit, comme sa sœur l’avait laissé entendre. Son père l’avait-il vraiment sacrifié au serpent du jardin d’Éden.
Le jour même où Charlotte lui annonça qu’elle était enceinte, il reçut un message urgent du pape :
« Reviens à Rome immédiatement pour y remplir tes devoirs. Le haut clergé conspire, et les Sforza ont invité l’Espagne à envahir l’Italie. »
Il dit donc à la jeune femme qu’il devait regagner la péninsule pour commander les armées pontificales, s’emparer de la Romagne et assurer le pouvoir de la papauté. Tant qu’il n’aurait pas fait en sorte que le pouvoir des Borgia puisse survivre à Alexandre et à
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