Le sang des Borgia
a par ailleurs des idées bien arrêtées. Il m’est tout simplement impossible de lui ordonner de vous épouser.
— Pourrais-je lui parler, Votre Majesté ?
— Bien sûr ! D’Amboise se chargera de la question.
Un peu plus tard, César et la princesse s’assirent donc sur un banc de pierre du jardin, dans l’odeur parfumée des orangers.
Rosetta était de grande taille, et si César avait rencontré de bien plus belles créatures, elle avait un port de reine, et ses longs cheveux noirs ramenés sur la nuque lui donnaient un air sévère. Ses manières demeuraient toutefois agréables et directes : elle ne rechigna pas à discuter du projet de mariage.
Elle dit donc fermement :
— Je ne voudrais vous offenser en aucune façon, bien que je ne vous aie jamais vu. Mais la vérité est que je suis très amoureuse d’un gentilhomme breton, et que par conséquent je ne peux en aimer un autre.
— Aimer quelqu’un à la folie n’est pas toujours le plus sûr chemin vers une vie heureuse.
— Je vous parlerai franchement, car je vous crois digne de ma confiance. Vous êtes le fils du pape, dont l’opinion a beaucoup d’importance pour mon père, à tel point que si vous insistiez, il me forcerait à vous épouser. Mais je vous supplie de n’en rien faire. Jamais je ne saurais vous aimer, car j’ai déjà donné mon cœur.
Comme les yeux de la jeune femme se remplissait de larmes, César, plein d’admiration pour sa franchise, lui tendit un mouchoir :
— Je ne désire en aucune façon vous contraindre au mariage. Si je n’ai pas su vous séduire, il est hors de question que vous soyez ma femme… Mais vous serez mon amie et, si je dois jamais passer en jugement, je vous demanderai d’être mon avocate.
À la fois soulagée et amusée, Rosetta éclata de rire. Et ils passèrent l’après-midi ensemble, chacun appréciant fort la compagnie de l’autre.
Ce soir-là, César raconta au roi ce qui s’était passé, et Louis XII, s’il ne parut guère surpris, fut heureux de le voir réagir ainsi :
— Je vous remercie de votre prévenance et de votre compréhension, dit-il.
— Auriez-vous une autre princesse qui ne soit pas amoureuse ?
Le souverain était un peu gêné de ne pouvoir tenir la promesse faite au pape :
— Je comptais vous offrir un autre titre, celui de duc de Dinois, ainsi que les terres qui y sont rattachées.
César s’inclina pour remercier son interlocuteur, puis, une lueur espiègle dans le regard, répondit :
— Je vous en suis très reconnaissant, Votre Majesté – mais cela me vaudra-t-il une épouse pour autant ?
— La princesse Rosetta ayant refusé, il va nous falloir, avec votre permission, entamer une quête sur-le-champ et chercher une princesse digne de vous.
— Dans ce cas, je prolongerai mon séjour, et en attendant je visiterai votre royaume.
À Rome, le pape ne pouvait penser qu’au mariage de son fils. Convoquant le cardinal Ascanio Sforza, il lui enjoignit de retourner à Naples discuter avec le roi.
Quelques semaines plus tard, Sforza revint les mains vides. Non seulement Rosetta refusait toujours, mais de surcroît le cardinal n’avait pu trouver de parti digne de César. Durant son séjour, il avait par ailleurs eu vent de rumeurs selon lesquelles le roi de France préparait une nouvelle invasion de l’Italie afin de faire valoir ses droits sur Milan et sur Naples.
— Est-ce vrai ? demanda-t-il à Alexandre. Que comptez-vous faire ?
Le pape, furieux d’être ainsi questionné, ne put se décider à mentir ou à dire la vérité ; il répondit donc :
— J’agirai si mon fils est pris en otage par la cour de France.
— Un otage bien complaisant ! Qui a emporté avec lui les coffres de l’Église, remplis de richesses destinées à son bon plaisir ! Et qui pourrait bien séduire une femme pour conclure une alliance qui menacerait Rome !
Outré, Alexandre lança d’une voix tonnante :
— Cher cardinal, dois-je vous rappeler que votre frère, le More, a été le premier à appeler les Français ? C’est Rome qui est trahie ! La maison d’Aragon refuse de conclure une alliance ! Je n’ai pas le choix !
— Vous vous êtes donc allié à la France contre la maison d’Aragon ?
Alexandre se contint avec difficulté, puis se leva et désigna du doigt la porte de ses appartements :
— Sortez ! Ce que vous venez de dire est proche de l’hérésie ! Et je vous suggère de prier pour votre pardon, faute de quoi je
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