Le sang des Borgia
lui-même, Charlotte et l’enfant qu’elle portait seraient en danger. Pour le moment, elle devrait donc rester en France.
Le jour de son départ, Charlotte tenta de faire bonne figure mais, comme il montait à cheval, finit par éclater en sanglots. Mettant pied à terre, il la serra dans ses bras ; elle tremblait.
— Dès que je pourrai, promit-il, je vous ferai venir, l’enfant et toi. N’aie pas peur : l’Italien qui me tuera n’est pas encore né.
Se penchant, il l’embrassa tendrement. Puis il remonta en selle et franchit les portes du château, non sans se retourner une dernière fois pour la saluer de la main.
19
Alexandre ne pouvait supporter les larmes de Lucrèce. Elle s’efforçait de faire bon visage en public mais, chaque fois qu’ils se retrouvaient, elle ne parlait plus guère que pour dire des banalités. Même la présence de Julia et d’Adriana, qui s’occupaient de son enfant, ne pouvait rien contre son désespoir. Presque toutes les soirées se passaient désormais dans un silence pesant. Il regrettait leurs conversations animées, comme la gaieté de sa fille, dont la tristesse lui pesait.
La jeune femme se sentait, une fois de plus, impuissante à maîtriser son destin. Elle ne reprochait pas à son père de s’être allié au roi de France, mais comprenait bien que son époux devait venir en aide à sa propre famille. Comme d’habitude, les nécessités politiques l’emportaient, qui la contraignaient à vivre sans Alfonso, avec son enfant à naître : situation impossible. Elle tentait bien de se raisonner, mais son cœur ne voulait rien entendre. Et chaque jour elle se demandait pourquoi son époux ne lui écrivait pas.
Plusieurs semaines passèrent, et le pape ne put en supporter davantage. Il conçut donc un plan. Lucrèce était une femme intelligente, qui avait nombre des qualités de son père. Elle avait aussi hérité de son charme, bien que cela ne fût guère évident ces derniers temps.
Alexandre avait déjà songé à lui céder certaines terres de Romagne – une fois, bien entendu, que César en aurait fait la conquête. Apprendre à gouverner ne pourrait que lui être utile, et lui ferait peut-être oublier un peu son chagrin. Son niais d’époux était toujours réfugié dans un château des Colonna, refusant obstinément de revenir à Rome. Sa femme lui manquait mais, n’ayant pas de nouvelles d’elle, il finissait par se demander si elle ne l’avait pas oublié. Le pape fut contraint de recourir à Cevillon, le capitaine espagnol, pour qu’il intervienne auprès du roi de Naples, afin de pouvoir récupérer Alfonso.
La situation exaspérait Alexandre. Il n’avait jamais été un amant très fidèle, et ses ennuis lui paraissaient plus importants que les souffrances des deux tourtereaux. Dieu sait combien d’amants et de maîtresses ils auraient au cours de leur vie !
Après bien des réflexions, et de longues discussions avec Duarte Brandao, le pape envoya donc sa fille régner sur un fort beau territoire appelé Nepi, qu’il avait confisqué au cardinal Sforza après la fuite de celui-ci à Naples.
Lucrèce était alors en fin de grossesse : Alexandre prit donc toutes les précautions possibles. Elle voyagerait en litière, accompagnée d’une escorte importante. Don Michelotto se chargerait de veiller sur elle, et de s’assurer que l’endroit était sûr. Bien entendu, un conseiller serait chargé d’initier sa fille aux subtilités du gouvernement.
Le pape était loin d’éprouver la même affection pour Geoffroi, et Sancia, son épouse, l’agaçait prodigieusement. À dire vrai, il en voulait surtout au père de la jeune femme, le roi de Naples, dont une autre fille, Rosetta, refusait d’épouser César. Quelle audace ! Quelle incroyable arrogance ! Le prenait-on pour un imbécile ? Le roi aurait parfaitement pu l’y contraindre ; mais il ne le voulait pas.
Sancia avait toujours été têtue – et, chose plus importante, n’avait pas encore donné d’héritier à Geoffroi. En fait, celui-ci aurait dû devenir cardinal, et César le mari de la princesse napolitaine : il aurait su la dompter !
Alexandre convoqua donc son fils cadet. Le jeune homme entra, sourire aux lèvres, bien qu’il boitât fortement.
— Que t’est-il arrivé ? demanda son père d’un ton sec, sans même prendre la peine de le serrer dans ses bras.
— Rien, père, répondit Geoffroi, tête basse. Je me suis blessé à la cuisse en faisant de
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