Le sang des Dalton
chevaux et s’allongea à plat ventre dans la neige, à travers laquelle pointait une herbe jaune. Le vent faisait s’entrechoquer les branches des trembles ; un oiseau déplia ses ailes dans le bleu du ciel et plana dans le vert des pins. Mon frère aperçut les pattes veinées de quarter horses rouans, puis reconnut le bruit des ressorts de suspension d’un chariot et d’autres chevaux qui dérapaient sur les pierres dans la montée.
La chienne les invectivait au milieu des cendres blanches du feu. Riley Dean était ligoté et bâillonné à l’arrière du chariot. Un adjoint du shérif et six autres types à chapeau melon ne tardèrent pas à encercler la tente avec des fusils et des carabines qu’ils cramponnaient à deux mains comme si leurs armes étaient anormalement lourdes.
« On te tient, Dalton, cria l’adjoint. Sors de là les mains en l’air. »
Grat s’installa profondément dans la neige, à l’abri des ramures d’un chêne et contempla les représentants de la loi en vestes sombres et manteaux de fourrure, le bas du pantalon enfoncé dans des bottes en caoutchouc. Un jeune homme à moustache avec un long cache-nez déchargea son fusil de chasse sur le rabat de toile de la tente, puis un second coup partit et tous ouvrirent le feu. Les piquets cédèrent, la toile claqua sous la grêle d’impacts et la fumée des armes se répandit entre les arbres. À la pétarade succéda le silence et Grat dévala le flanc schisteux de la montagne en traînant ses affaires derrière lui dans la neige. La chienne s’élança sur ses talons et un adjoint du shérif avec une cravate ficelle se campa au sommet de la pente pour tirer sur la levrette et les bribes de veste à carreaux qu’il entr’apercevait. Grat traversa avec fracas un roncier alourdi par la neige, louvoya entre les troncs et, après avoir franchi en pataugeant un torrent scintillant, s’assit dans la boue de la berge et leva les yeux. Les feuilles des trembles se ratatinaient à cause de la fumée et les hommes du détachement canardaient dans tous les sens. Puis ils durent se décourager, car ils cessèrent et Grat ne les revit plus jamais.
La chienne fit son apparition de l’autre côté du cours d’eau en boitant. Une balle lui avait mutilé la patte avant droite. Du sang lui avait giclé sur le museau.
« Reste là, tu piges ? Me suis pas. Pas bouger. »
La levrette s’assit dans la neige et lécha son propre sang. Grat confectionna des bandoulières pour son fusil et sa gourde, puis parcourut vingt-neuf kilomètres dans des bottes glacées et trempées à travers les frémontias, les pieds-d’alouette et les rais de lumière verticaux jusqu’à ce qu’il parvienne à une ferme située au fond d’Harmon Valley, où un homme du nom de Judd Elwood, avec un collier de barbe, pelait au-dessus d’un sac en papier une pomme à la peau brune, adossé au piquet d’une clôture. Des traits reliaient son attelage de deux chevaux à une lourde chaîne de débardage attachée autour d’un séquoia ébranché à la hache. Elwood se retourna lorsqu’il entendit Grat émerger de la forêt tel un homme des montagnes, avec sa veste et sa barbe qui se confondaient, son large chapeau enfoncé sur la tête et son fusil en travers du bras.
« Est-ce qu’un détachement a fait halte ici l’autre nuit ? » se renseigna Grat.
Le fermier s’accroupit dans la neige et lança un regard en direction de sa hache, toujours plantée dans l’arbre.
« Je suppose que c’était après vous qu’ils en avaient, déduisit-il.
— Dételle tes chevaux et enlève le harnais de celui qui est le plus près », répliqua Grat.
Elwood grommela, laissa retomber sa pomme dans le sac en papier et fit ce qu’on lui demandait. Mon frère vola ensuite un sac de jute gelé dans la remise de la ferme et des bocaux de conserves dans le cellier. De la poussière s’exhala du sac quand Grat y déversa le fruit de ses rapines.
Afin d’en apprendre plus sur sa situation, de Merced, Grat rallia Tulare par une piste de terre aujourd’hui goudronnée et connue sous le nom de Highway 99, sur laquelle des coupés Chevrolet noirs roulent à cinquante-cinq kilomètres-heure. Il puait comme un putois, il avait la tignasse embroussaillée et sa barbe hirsute était parsemée de graines jaunes, de sorte qu’il pouvait arpenter les trottoirs en planches de Tulare avec un imperméable par-dessus sa veste de grosse laine sans risquer d’être reconnu par
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