Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
Marcus Columba appartenait à ce collège pontifical. Et le moins qu’on puisse dire de lui, c’est qu’il ne badinait pas avec les traditions. Quant à Lucius Scaber, il était l’un des douze flamines mineurs de Rome, dévoués au culte de Vulcain et des divinités secondaires.
Aucun de ces vénérables sénateurs, pontifes ou prêtres, ne pouvait tolérer que l’empereur de Rome, théoriquement garant de la pérennité de la religion des ancêtres, en devienne le propre destructeur.
— Et vous ne savez pas tout ! dit Columba en étreignant d’un regard circulaire les trois sénateurs. Il se prépare des choses d’une extrême gravité, dont vous n’avez même pas idée… !
Il suspendit aussitôt ses mots, comme s’il en avait trop dit, mais acheva néanmoins sa phrase, impatient de livrer aux autres les terribles révélations dont lui seul avait eu le secret :
— Mes amis, Bassianus, ou plutôt… Héliogabale, se prépare à commettre le plus infâme des sacrilèges.
— Quoi ?
— Un crime sans nom, un acte inqualifiable.
— Parle donc, Marcus !
Le petit sénateur au crâne chauve laissa tomber la nouvelle :
— Il paraît qu’il veut rassembler, dans le sanctuaire d’Élagabal, tous les objets divins. Il aurait l’intention de voler le Feu de Vesta, le Palladium et les boucliers des saliens (103) pour les mettre dans le temple de sa pierre noire !
— Il ne peut pas ! Il n’en a pas le droit ! s’exclama Pomponius, le visage défait.
— C’est impossible ! s’écria à son tour Messala, outré. Personne n’a jamais osé !
Les Romains possédaient depuis des temps immémoriaux un certain nombre d’objets sacrés, des reliques mystérieuses et inviolables, auxquels ils attribuaient des propriétés magiques et bénéfiques. Ces reliques, porteuses d’une charge surnaturelle, remplies de la puissance divine, ne pouvaient être, pour certaines, ni regardées ni touchées, et encore moins déplacées du lieu où elles étaient conservées, sous peine de perdre leur bienveillante efficience.
Le plus important de ces pieux symboles était sans nul doute le Feu sacré, qui incarnait la vie et le salut de la cité, et qu’on tenait précieusement abrité dans le petit temple circulaire de la déesse Vesta, sous la surveillance vigilante des vestales, les chastes prêtresses.
D’autres mystérieux fétiches étaient également porteurs des grâces divines : le Palladium, une idole primitive représentant Pallas-Athéna (104) , que l’on pensait avoir été amenée en Italie par le prince Énée, après sa fuite de Troie et qui, comme le Feu de Rome, était, elle aussi, pieusement conservée dans le temple de Vesta.
Quant aux ancilia, les douze boucliers sacrés auxquels le sénateur Messala venait de faire allusion, les saliens assuraient leur garde dans la demeure particulière des grands pontifes.
Selon la tradition, un seul de ces boucliers était tombé du ciel et était véritablement magique. Mais neuf siècles auparavant, le roi Numa, successeur de Romulus, pour dissuader les voleurs, en avait fait faire des copies et depuis, personne ne savait lequel était réellement céleste.
S’ajoutaient encore au Feu perpétuel, à la statuette de Pallas-Athéna et aux ancilia d’autres objets extraordinaires, que nul n’avait jamais vus et qui continuaient pourtant, depuis presque mille ans, d’alimenter les superstitions et les croyances naïves du peuple romain.
— Je ne sais pas quel crédit nous devons apporter à cette rumeur, dit Marcus Columba, mais pour ma part, j’ai toutes les raisons de croire que ce dément s’apprête à voler les sacra.
— Mais pour quelle raison ferait-il une chose pareille ?
— Il pense que son dieu, Élagabal, est au-dessus de tous les autres dieux et que par conséquent, il doit être le gardien légitime des gages divins. Il pense que les objets sacrés renforceront la puissance du Soleil Invincible.
— Il ignore donc que les objets divins n’ont d’efficacité que dans les lieux consacrés ?
— Il le sait mais il prétend que leur place est plus appropriée dans le temple d’Élagabal, qui est le maître de l’univers.
— Quelle impiété !
— Personne n’a jamais mis la main sur le Feu perpétuel ! s’exclama de nouveau Messala. Personne n’a jamais déplacé le Palladium ! Cela est interdit par la loi !
— Si, un homme s’y est risqué, il y a deux cents ans, précisa Columba.
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