Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
indulgents. Les deux auriges faisaient partie, avec Euboulos, Claudius et Myrismus, des rares privilégiés qui s’étaient attaché la sympathie de l’adolescent.
— C’est injuste ! gémit Claudius en contemplant avec dépit les maigres gains qu’il avait accumulés depuis le début de la partie. La Fortune m’abandonne !
— Cesse de te plaindre, le gronda Myrismus, tu vois bien que je suis plus pauvre que toi. J’ai déjà perdu vingt mille sesterces !
— Euboulos t’en a donné trente ! Et Gordius t’en a avancé dix de plus il n’y a pas un instant ! Personne ne m’a aidé, moi ! Personne ne m’aime !
Varius, vêtu d’une robe de soie rouge et coiffé d’un diadème gemmé, lança à son favori un regard attendri.
— Et moi, mon petit Claudius ? Est-ce que je ne t’aime pas ? dit-il en lui effleurant doucement la joue.
Le précieux Claudius rougit et baissa ses longs cils, ravi de ce témoignage inattendu d’affection, et troublé, comme chaque fois, par ces accès de tendresse de la part de César, par ces attentions délicates qui se produisaient toujours spontanément et souvent sans cause.
Le jeune homme, qui avait tout d’abord fait fonction de coiffeur personnel de Varius, avant d’être promu, par la grâce impériale, préfet des vigiles, vivait presque continuellement dans le sillage de l’empereur. Il avait de longs cheveux bouclés, enduits de parfums et retenus dans la nuque par des épingles, des ongles soignés, des bras et un torse parfaitement épilés et lissés par le frottement de la pierre ponce, une petite bouche rose et pointue comme un bec de poussin. Varius, bien qu’insensible à la sensualité de ce corps trop mince et trop féminin et bien qu’il n’ait jamais éprouvé pour son favori des désirs explicitement sexuels, se plaisait énormément en sa compagnie.
C’était avec lui qu’il s’échappait du palais, dès la nuit tombée, pour courir incognito les bas-fonds de la ville et se soumettre au joug des rudes débardeurs, dans les tavernes sordides des quartiers populaires.
Claudius, en revanche, éprouvait pour son maître un amour ardent et ne s’en cachait pas. Il rougissait et pâlissait chaque fois qu’il rencontrait son regard, se sentait défaillir dès qu’il entendait sa voix. Et l’adolescent, évidemment, se flattait exagérément de cette passion dévorante. Tour à tour, il s’amusait à inspirer au pauvre Claudius l’espoir et la déception, l’obligeait à se plier à ses quatre volontés, lui faisait subir toutes sortes de petites brimades ou le gratifiait de gestes tendres, selon son humeur du moment.
Pour Varius, rien n’était plus agréable que de se sentir l’unique cause des joies et des malheurs de ceux qui lui étaient entièrement dévoués ; car dévoués ils l’étaient, tous, ces parasites en attente de généreuses gratifications, dévoués et tellement asservis qu’ils ne songeaient même pas à résister et se soumettaient volontairement à ses caprices les plus saugrenus.
En voyant l’empereur caresser langoureusement la joue de son rival, Myrismus se renfrogna et ne fit rien pour dissimuler sa déception, en proie à une jalousie évidente. Celui-là était vraiment beau garçon. Grand, robuste, des fils d’argent sur les tempes, le visage ouvert et les yeux d’un gris lumineux, mais sans beaucoup d’esprit. Découvert par Protogène dans un immeuble miteux, où il végétait à écrire des vers insipides, il avait immédiatement plu à l’empereur. Varius, plus impressionné par une partie de son anatomie hors des proportions communes que par ses talents de poète, s’était aussitôt attaché ses services.
— « Ne te laisse pas abuser par les larmes qui amollissent le diamant », déclama Myrismus en prenant une pose affectée, « ni par les artifices inspirés par Vénus…»
— Et toi, épargne-nous tes mauvais poèmes qui offensent Erato et Polymnie (110) ! souffla Claudius.
Mais Myrismus continua de débiter, de sa voix nasillarde, ses vers qui se succédaient avec une sonorité de grelots vides.
— Myrismus est jaloux ! fit remarquer Protogène à Varius. Jaloux des caresses dont tu gâtes Claudius. Regarde-le : jaloux comme une petite chatte !
Myrismus s’offusqua :
— Pas du tout ! protesta-t-il. Est-ce que je me plains, moi ? Il n’est pas d’amour plus véritable que celui qui souffre sans implorer… « Digne était Orion quand, rejeté
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