Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
d’aucune protection ni d’aucune arme et se faisaient massacrer en quelques minutes. L’arène s’emplissait alors de leurs hurlements de terreur et de douleur tandis que les fauves les déchiquetaient, que les taureaux et les éléphants, rendus furieux, les transperçaient et les piétinaient. Varius raffolait de ce genre de spectacle, beaucoup plus cruel et donc nettement plus divertissant à ses yeux que les banales exhibitions de gladiateurs. Depuis quelque temps, d’ailleurs, il n’y assistait plus. Passé l’exécution des condamnés, il préférait regagner la Domus Augustana pour se livrer à d’autres divertissements.
Les gladiateurs l’ennuyaient à mourir. À force de passes savantes, ils essayaient toujours de retarder le coup fatal, quand ils ne tentaient pas d’y échapper. Leurs entraîneurs, les lanistae, pour ne pas perdre trop vite leur précieux investissement, les encourageaient un peu trop à se ménager et les exerçaient si bien que la plupart parvenait à se faire gracier à l’issue du combat. Aussi le jeune empereur était-il las de ces athlètes accomplis, trop bien formés dans le Ludus Magnus (119) , plus valeureux les uns que les autres, qui, au mépris de la peur, combattaient durant des heures sans le moindre petit frémissement de douleur et ressortaient trop souvent vivants de l’amphithéâtre.
Un tel dénouement ne pouvait que contrarier le jeune empereur pour lequel la mort d’un être humain dans l’arène était incontestablement le moment le plus enivrant du spectacle.
Les trompettes sonnèrent la fin de l’entracte et annoncèrent le début de l’hoplomachie (120) .
— Tu restes ? s’étonna Soemias qui, comme à l’accoutumée, était installée à ses côtés.
— Oui, et je ne manquerais cela pour rien au monde, répondit-il en souriant.
Ses yeux brillaient d’excitation et il semblait ne plus tenir en place sur son siège.
— Je te croyais fatigué des combats de gladiateurs ?
— Je le suis, répondit Varius. Mais aujourd’hui, il va y avoir une surprise.
— Quelle surprise ?
— Ce que tu peux être pénible, souffla l’adolescent en retroussant les lèvres, à être toujours impatiente. Tu n’as qu’à attendre, comme tout le monde.
Et il se mit à fredonner en se frottant le nez.
— Bon, dit Soemias, garde ton secret, nous verrons bien ce que tu nous as réservé.
Tandis que les esclaves aspergeaient la loge impériale d’eau de rose et de parfum afin d’atténuer l’odeur de sang et de sueur qui s’y était répandue, un premier gladiateur fit une entrée triomphale dans l’arène. Son arrivée provoqua une ovation délirante.
La foule, debout, échauffée, vibrante, se mit à applaudir et à scander son nom avec ferveur. De toutes les poitrines soulevées, de toutes les bouches déformées par le bonheur, sortit le même mot : « Rusticus ! »
Le gladiateur était d’une taille impressionnante et d’une stature qui eussent fait pâlir d’envie le grand Hercule lui-même. Il mesurait au moins sept pieds et pesait facilement ses quatre cents livres (121) de viande. Cette montagne de chair et de muscles durs portait la tenue des rétiaires : très peu armé, il tenait un trident dans la main gauche et dans l’autre un filet plombé, filet avec lequel il devait envelopper son adversaire pour le neutraliser. Une partie de son corps de titan – l’épaule et le bras gauches et la moitié du torse – était protégée par un brassard et un plastron de cuir.
Il s’avança vers la loge princière et tendit le bras vers l’empereur en signe d’hommage. Puis il revint au centre de la piste, attendant que son adversaire fasse son entrée à son tour.
C’est à ce moment-là, précisément, que les hurlements cessèrent et que les « Rusticus ! » hystériques moururent dans les gorges. Un silence religieux s’installa dans les tribunes. Au lieu de pénétrer dans l’arène par l’une des arcades, comme l’avait fait son prédécesseur, le second duelliste venait d’apparaître au public par une petite trappe qui s’ouvrait sous le plancher de l’amphithéâtre. On l’avait fait arriver par l’un des monte-charges qui amenaient généralement les animaux dans l’arène. L’effet fut tout à fait surprenant.
Ce combattant-là avait les armes du mirmillon : un grand bouclier hexagonal et un glaive lourd, ainsi qu’un casque orné d’un cimier en forme de poisson.
Le silence qui avait
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