Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
change rien. Il est parti… Pour moi, c’est comme s’il était mort puisque je ne sais rien de ce qu’il fait, ni de l’endroit où il se trouve.
— Je sais où il se cache, murmura Soemias.
— Où ? s’écria l’empereur soudain ranimé. Où est-il ?
— Dans le quartier des tanneurs, sur la via Campana ; il loge au-dessus de la boutique d’un potier, un certain Vagellius.
— Il faut aller le chercher ! Tout de suite ! Il faut qu’il revienne… Tout de suite !
Soemias lui posa un doigt sur la bouche :
— Chut… ! Tu le retrouveras, mais plus tard.
— Je ne peux pas attendre !
Sa mère dut le raisonner longtemps, discuter, combattre avec tous les arguments possibles, son impatience et son excitation. À la fin, l’empereur, après avoir fait mine d’hésiter et de réfléchir, parut comprendre le danger que présentait pour lui le retour précipité de son amant au palais.
— Je ferai ce que tu voudras, dit-il avec un abandon enfantin. J’essaierai d’être patient.
Mais cette nouvelle lui avait redonné l’énergie du combat. Il se leva enfin et se mit à arpenter la chambre, l’air résolu.
— Tu as entièrement raison, dit-il en passant la main dans le désordre de ses boucles, je vais détruire toute cette vermine qui croit déjà trôner au Palatin !
— Occupe-toi seulement d’Alexianus, conseilla Soemias. Sans lui, ma mère et ma sœur n’auront plus aucune raison de se dresser contre toi. Elles devront se soumettre ou quitter Rome pour toujours.
— Et je les obligerai à se prosterner devant moi ! ajouta Varius. Peut-être, oui, peut-être leur laisserai-je la vie sauve, mais à la seule condition qu’elles rampent à mes pieds et qu’elles les arrosent de leurs larmes !
— C’est un spectacle qu’il me tarde de voir, dit Soemias qui savourait, avec une délectation anticipée, le goût délicieux de la revanche.
— Je les dépouillerai de tout ! s’exclama enfin l’empereur. Je ne leur laisserai que la peau sur les os et leurs yeux pour pleurer ! Les truies ! Quant à Alexianus, il n’en a plus pour longtemps ! Qu’il profite bien des jours qui lui restent à vivre car ils lui sont désormais comptés !
Il semblait maintenant avoir oublié la présence des soldats dans le couloir. Il parlait comme si personne ne l’écoutait, il parlait pour lui-même, pour se convaincre, pour insuffler à son cœur faible la volonté et l’espoir qui lui manquaient :
— Pourquoi ai-je pensé à la mort ? dit-il les yeux brillants, c’est Alexianus qui doit mourir et moi qui dois vivre ! Cela seul est dans l’ordre des choses !
— Tu vivras, mon fils, lui assura sa mère. Les années succéderont aux années et autour de toi les générations tomberont comme les feuilles autour d’un arbre, sans que personne ne songe plus jamais à te défier.
CHAPITRE XLI
Calendes (151) de janvier 222
Un air froid et sec, venu du nord, avait sensiblement fait chuter les températures. Le ciel anthracite, lourd, grumeleux, lugubre, laissait présager, ce qui était plutôt rare dans le Latium, d’abondantes chutes de neige pour la journée. Emprisonnant la ville sous une masse de nuages sinistres et compacts, cette voûte de plomb pesait sur Rome comme un sombre présage.
Pourtant, malgré ce temps exécrable, l’empereur abandonna le palais sessorien dans la matinée pour rejoindre la Domus Augustana, où l’attendaient son cousin et les autres membres de la famille impériale.
Ce départ, n’avait, bien entendu, rien de volontaire.
Le jour de l’adoption d’Alexandre, l’empereur, tout comme son héritier, avaient été symboliquement investis de la charge de consuls pour l’année à venir. Aussi, obligation leur était faite, le 1 er janvier, de participer ensemble à la cérémonie rituelle qui marquait l’entrée en fonction des nouveaux magistrats.
Conformément à la tradition, une procession solennelle était censée conduire l’Auguste et le jeune César du Palatin au Forum afin d’entendre les allocutions des sénateurs dans la Curie. Sitôt ces formalités d’usage achevées, les deux consuls honorifiques devaient ensuite monter au sommet du Capitole pour procéder aux sacrifices en l’honneur de Jupiter.
Pour Varius, cette sortie représentait une corvée dont il se serait bien passé.
Non seulement il allait lui falloir déambuler dans la ville vêtu du costume et des ornements triomphaux, affronter le
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