Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
qu’aucune trace d’émotion, aucun signe de douleur, même fugitif, n’était passé sur le visage austère de la vieille princesse à l’annonce du suicide de sa sœur. Pas même une brève expression de compassion.
Bien au contraire, il la vit inspirer profondément et fermer les yeux, comme pour savourer cette sensation d’apaisement, cette impression de libération que l’on ressent après l’épreuve d’une longue maladie. Le Syrien comprit alors que le décès de Domna, si triste fût-il, venait d’arracher, dans l’âme de sa maîtresse, le chancre odieux de la jalousie. La mort de sa sœur avait enfin extirpé cette gangrène honteuse qui la rongeait depuis si longtemps.
Durant d’interminables années, en effet, Maesa avait vécu dans l’ombre de Domna, enviant secrètement la prodigieuse ascension de sa cadette et sa chance insolente.
Les affres sournoises de la jalousie avaient commencé à la torturer le jour où les deux jeunes femmes, alors en âge de se marier, s’étaient vues contraintes de prendre un époux. Leur père, Bassianus, avait donné la main de Domna à un sénateur ambitieux du nom de Septime Sévère, alors légat propréteur de la Gaule Lyonnaise, tandis qu’elle devait se résoudre à accepter Julius Avitus, un vieux parvenu qui débutait à peine sa carrière équestre.
Maesa avait tout de suite jaugé la valeur de ce militaire entreprenant et déterminé qu’était alors Septime Sévère. Mais sans avoir pour autant le pressentiment de l’incroyable destin qu’allait connaître sa sœur rivale…
Peu de temps après leur union, comme une nouvelle provocation de la Fortune, Domna avait donné à son mari deux beaux héritiers mâles, Caracalla et Geta, tandis qu’elle mettait au monde deux fragiles et insignifiantes petites filles.
La princesse haussa les épaules.
— Ma sœur aura régné vingt-quatre ans, déclara-t-elle durement. Voilà qui est déjà beaucoup.
Et elle s’abstint de rajouter : « beaucoup trop ».
L’horoscope de Domna lui avait prédit, dès sa naissance, qu’elle deviendrait l’épouse d’un roi. Et c’était effectivement ce qui s’était produit, bien que Maesa ait toujours douté, en son for intérieur, de la justesse de ce présage et de l’influence bienveillante des constellations sur la vie de sa sœur. Pour la femme éprise de rationalité qu’elle était, seule la volonté pouvait entraîner les hommes à agir sur l’univers ; seules leur détermination et leur force de caractère provoquaient les événements ; et cela, quelles que soient les prédictions célestes…
Après avoir gravi patiemment, et sans l’aide des astres, les marches du cursus honorum (6) , après avoir été désigné consul suffect, puis proconsul de Sicile, puis gouverneur de Pannonie (7) Supérieure, son ambitieux beau-frère avait tout simplement profité du contexte tourmenté de la guerre civile qui avait suivi l’assassinat du despotique Commode, puis celui de son bref successeur Pertinax, pour se faire proclamer imperator par les seize légions du Rhin et du Danube qu’il commandait à cette époque.
Et c’est ainsi que Domna, petite princesse syrienne que rien ne destinait à un tel avenir, si ce n’est un thème astral douteux, était devenue impératrice de Rome.
L’ambition démesurée de son époux, servie par une situation particulièrement troublée, une succession d’heureux hasards, d’intrigues de palais et d’alliances militaires, l’avait faite la maîtresse incontestée du plus vaste empire que le monde ait jamais connu.
L’orgueil de Maesa, s’il avait su brider sa jalousie, n’en avait pas moins souffert. Durant vingt-quatre longues années, elle avait dû se contenter de marcher, comme une chienne fidèle, dans les pas de Domna et de ramasser dans l’auguste sillage de sa cadette les miettes de sa gloire.
Mais la chance avait enfin tourné. Car si Rome était éternelle, les princes, eux, étaient bien mortels.
Six ans plus tôt, Septime Sévère s’était éteint des suites d’une longue maladie, pendant la campagne qu’il menait en Bretagne (8) contre les Scots. Sitôt après avoir hérité de la pourpre, ses deux fils s’étaient livré une guerre sans merci. Caracalla, qui n’entendait pas partager avec son frère les honneurs du pouvoir suprême, avait finalement égorgé Geta.
Et voilà que le fratricide venait à son tour de succomber, sauvagement poignardé par un homme de sa
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