Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
Muses. Le nombre parfait !
— N’y compte pas ! rétorqua Maesa avec aigreur.
— Plutôt me faire enterrer vivante… ajouta à son tour Mammaea en emmenant son fils par la main.
Varius haussa les épaules :
— Tant mieux ! lança-t-il d’une voix coupante. Nous nous amuserons davantage sans vous, oiseaux de malheur !
Il eut alors, pour avoir une assemblée de sept personnes à sa table, l’idée incongrue de faire chercher dans la plèbe un pauvre mendiant.
— Et qu’on me ramène le plus misérable ! ordonna-t-il sentencieusement.
Maesa mit quelques instants à dompter la colère qui montait en elle :
— Mon enfant, dit-elle d’un ton mordant, sache qu’il y a certaines plaisanteries que je ne tolérerai pas longtemps.
Varius l’affligea d’un regard impertinent et la princesse fit alors un geste de la main, un geste qui exprimait toute son impuissance à lui faire entendre raison.
— Nous mangerons entre gens de mauvaise vie ! lui cria l’adolescent en la regardant s’éloigner, tout en sachant qu’elle était trop loin pour l’entendre distinctement. Cela vaut mieux que de manger avec des vieilles chouettes pétries de principes !
Si la compagnie n’était pas de qualité, la salle à manger du palais, elle, était royale.
Le plafond, constitué de tablettes d’ivoire mobiles, semblable à celui que Néron avait jadis fait installer dans sa Maison dorée, laissait échapper dans la salle une pluie de pétales de fleurs, qui semblait tomber du ciel comme par magie. Les sols étaient recouverts de marbre et de mosaïques, les murs tendus de soie, décorés de tableaux et de fresques en trompe-l’œil, dont les magnifiques perspectives s’enfuyaient à l’infini. Un peu partout on avait disposé des lampes odorantes, des jets d’eau coulant de délicates fontaines, des trépieds et des tresses d’or portant des petits alabastres de parfum.
Mollement allongés, les mains lavées par les serviteurs du palais, les invités se divertissaient du spectacle offert par l’empereur en attendant son arrivée.
Des danseuses orientales tournaient lascivement autour des lits de table, excitant la sensualité des convives ; des nains tordus et des bouffons exécutaient des acrobaties grotesques, tandis que des esclaves entièrement nus et enduits de peinture dorée, comme pour imiter les échansons de Midas, commençaient à servir dans les coupes en cristal les divins nectars de Crète et de Chypre, relevés de poivre et d’essence de rose.
Protogène avait été placé à côté de Soemias, qui semblait ravie de ce choix, et qui déjà aguichait d’un regard enjôleur le bel aurige de vingt-quatre printemps.
Comazon, quant à lui, se trouvait placé entre Gordius et le mendiant crasseux, estropié et borgne que les gardes avaient ramassé dans la rue, et qui, n’en revenant encore pas d’être là, semblait déjà soûl avant d’avoir bu.
Peu après le début des réjouissances, l’empereur fit son entrée dans le triclinium, au doux son des lyres, vêtu d’une robe flottante et chatoyante, brodée de fleurs et de feuillages, bigarrée de zébrures et de ramages, une couronne de jasmin posée sur ses cheveux frisés au fer.
Il salua du regard ses hôtes, l’air réjoui.
— Je ne pouvais souhaiter plus agréable compagnie que la vôtre, mes amis ! s’exclama-t-il avec un enthousiasme puéril, comme un enfant qui vient de trouver de nouveaux camarades de jeu.
Il prit sa place au milieu du lit et s’adressa en premier lieu à Protogène :
— Sois grandement remercié pour le spectacle que tu nous as offert dans le cirque, mon ami. Que cette demeure soit ta demeure et que la nuit qui commence te soit douce. Commande et tu seras obéi : aucun désir ne peut t’être refusé.
— Je n’ai pas d’autre plaisir que celui de te divertir, César. Et je ne connais pas d’autre gloire que d’offrir à l’empereur un spectacle digne de lui.
Les serviteurs peints en or apportèrent les plateaux de fruits de mer, et chacun commença à se délecter d’oursins, de langoustes, de tourteaux, d’huîtres de Tarente accompagnées de pain au beurre.
— Quel fardeau pour un homme que le pouvoir ! se plaignit Varius en suçant délicatement une pince de crabe. S’il n’existait pas les plaisirs de la table et les jeux du cirque, je ne sais pas comment je supporterais le poids écrasant de la pourpre…
En entendant cette affirmation aussi mensongère que
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