Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
(98) , tuerie grandiose et cruelle qui ne manqua pas de réjouir le peuple, mais qui contraria vivement le jeune empereur.
— Ne m’avait-on pas promis des spectacles « que nul n’avait jamais vus et ne devait revoir » ? interrogea l’adolescent en raillant la formule consacrée par laquelle les crieurs publics invitaient aux jeux.
— Je n’ai pas le souvenir qu’on ait organisé de plus grande chasse, César, répliqua Acutus, le magistrat responsable des réjouissances.
— Alors tu as la mémoire courte ! cracha Varius, un brin excédé. Ou bien peut-être prends-tu ton empereur pour un âne ?
L’autre secoua la tête en signe de dénégation et s’inclina très bas.
— Je me souviens d’avoir entendu dire que le dictateur Sylla a offert au peuple, un jour, une chasse de vingt éléphants et de cent lions, et le grand Pompée, une de six cents !
— C’est possible…
— Ce n’est pas possible, rectifia Varius avec un mouvement de contrariété, c’est vrai ! Sans oublier Caligula, qui a fait égorger cinq cents ours et autant de panthères en l’honneur de sa sœur Drusilla ! Quant à Hadrien, je sais qu’il a fait massacrer mille bêtes sauvages dans l’arène, pour son anniversaire !
— Je suis désolé, César, murmura le magistrat, confus. La prochaine fois, nous ferons amener davantage de bêtes.
— La prochaine fois, rectifia Varius d’un ton sans réplique, si tu m’offres un spectacle aussi décevant, c’est toi qui iras dans l’arène. Et tout nu ! Avec comme seule protection la plaque de cuir des bestiaires au bras gauche !
Et il partit dans un grand éclat de rire aigu, tant son idée lui parut drôle.
— Dorénavant, reprit-il plus gravement, je veillerai personnellement à ce que soient organisés des spectacles plus originaux. Je suis las de ces navrantes exhibitions de mirmillons et de rétiaires. Vraiment, Acutus, ton peuple manque d’imagination…
— Pour ma part, j’adore les courses de chars, interrompit la belle Soemias. Je serais bien malheureuse si l’on m’en privait. Puis elle ajouta, en minaudant : et j’adore encore plus les conducteurs de chars.
— C’est le seul spectacle valable auquel nous ayons assisté ces derniers jours, approuva Varius. D’ailleurs, comment s’appelle cet aurige qui a triomphé cinq fois dans les courses de quadriges avant-hier ?
— Il s’appelle Protogène, répondit Acutus. C’est la mascotte de la plèbe, César. Son portrait fleurit partout sur les murs de la ville et toutes les femmes en sont folles.
— Protogène… répéta Soemias en s’attardant sur le nom du héros, dont elle pesa mélodieusement chaque syllabe, comme s’il eût été plus doux que du miel coulant sur sa bouche sensuelle.
— Et l’autre ? Celui dont le char s’est renversé et qui a échappé à la mort dans la troisième course ?
— Il se nomme Gordius, César. C’est de loin le meilleur cocher de toute l’Italie.
— Eh bien, dit Varius, qu’on leur fasse savoir que l’empereur les invite tous les deux au palais.
En entendant cela, l’austère Maesa réprima un sursaut d’humeur. La sage Paula Cornelia baissa les paupières, visiblement choquée.
— Quelle bonne idée je viens d’avoir ! s’exclama encore Varius avec une gaieté enfantine. Ce soir, nous allons dîner avec mes nouveaux amis !
Le soir même, les deux auriges vainqueurs, après avoir reçu les récompenses dignes de leurs exploits, furent conviés à la table de l’empereur.
Ces hommes, qui n’étaient pourtant que des esclaves, furent accueillis avec tous les honneurs et installés dans la plus luxueuse des salles à manger d’été, sur des lits de table en argent massif.
La voluptueuse Soemias, qui ne voulait pour rien au monde manquer un dîner en compagnie de ces superbes héros, fut évidemment ajoutée au nombre des convives, ainsi que la nouvelle impératrice et le préfet de la ville Valerius Comazon.
Quant à Mammaea et à Maesa, elles déclinèrent bien entendu l’invitation, jugeant malséant la présence de ces vulgaires conducteurs de chars à la table impériale.
— Par Élagabal ! s’inquiéta Varius. Nous ne serons que six dans le triclinium ! C’est impossible, un nombre pair est un mauvais présage !
Il se tourna vers sa grand-mère et sa tante :
— Je vous prie de dîner avec moi, leur dit-il. Avec vous deux et Alexianus, nous serons neuf, c’est-à-dire le nombre des
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