Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
la pensée que dévoilait ce regard, la pensée contrariée de cette petite femme à l’esprit simple et droit, qui disait plus ouvertement que si elle avait ouvert la bouche : « Je sais que tu veux cet homme, je le lis en toi. Mais je te supplie de ne pas exhiber impudemment cette attirance honteuse. »
Une envie de se jeter sur sa femme, de lui tordre le cou, s’empara alors de lui et se mit à le harceler comme une obsession.
— Pourquoi n’as-tu pas goûté au vin ? cracha-t-il d’une voix fielleuse. Es-tu malade ?
— Je n’ai jamais bu de vin, répondit l’ Augusta pour se justifier. Dans la maison de mon père, cela était interdit aux femmes.
— Mais quelle dinde ! se moqua l’empereur. Tu ne vis plus chez ton enquiquineur de père, tu es au Palatin ! Quant à ton abstinence, reprit-il en lui lançant un œil menaçant, elle offense mes nouveaux amis. Te crois-tu si supérieure pour nous regarder boire, sans daigner partager notre ivresse ?
— Je boirai, si cela te satisfait, répliqua Paula d’une voix triste et basse.
La résignation avec laquelle elle prononça ces mots augmenta encore le dégoût de l’adolescent.
— Oui, tu as intérêt à faire tout ce que je t’ordonne, fit-il en la menaçant du doigt.
Soemias se pencha vers sa belle-fille et lui tendit une coupe.
— Allons, dit-elle avec un air de tentatrice, il est grand temps de t’affranchir de tes habitudes austères, ma petite Paula…
La jeune femme, à contrecœur, but quelques gouttes, en retenant une grimace.
— Quelles simagrées ! s’écria Varius en haussant les épaules. Allons, bois !
De nouveau Paula avala une gorgée, pâle et digne.
— Encore ! commanda Varius en lui soulevant le coude, pour l’obliger à vider sa coupe.
Mais comme l’impératrice, cette fois, refusait d’obéir, il se pencha en avant, lui saisit la mâchoire entre ses doigts, comme dans un étau, et lui ouvrit la bouche de force. Il lui versa le contenu de la coupe dans le gosier. La jeune femme s’étrangla, toussa bruyamment, la gorge en feu et les yeux brûlants de larmes.
Puis, affectant soudain une effroyable cordialité, Varius lui demanda :
— Alors ? Comment trouves-tu ce divin cépage ? N’est-il pas doux au palais, ce petit vin italien ? Un peu moins épicé que celui qui nous arrive d’Alba Helvia, mais la poix lui donne un arrière-goût de noisette… Tu ne réponds pas ? Tu n’as pas d’opinion ? La nature t’aurait-elle également privée, en plus de l’esprit, de ces organes qui servent à apprécier les odeurs et les saveurs ?
Comme l’impératrice ne disait toujours rien, il fit signe à l’un de ses échansons d’approcher.
— Puisque tu es incapable d’apprécier un bon vin, déclara-t-il avec un sourire d’une ineffable méchanceté, nous allons te faire servir du vinaigre.
Puis, constatant soudain qu’elle avait laissé un peu de vin se répandre sur le lit de table, il lui lança un regard absolument dégoûté :
— Mais es-tu une truie, ma pauvre fille, pour boire comme cela ? Tu as sali mes coussins en soie !
Paula Cornelia était arrivée à la limite de son endurance.
L’ironie malsaine de son jeune époux, ses sarcasmes continuels, ses brimades raffinées, la mettaient au supplice. Avant son mariage, son existence avait été calme et parfaite. Elle n’avait jamais connu que la simplicité, la sagesse, la tempérance, la douceur d’une vie sans violence et sans désordre. Paula était de ces êtres qui vivent comme des ruisseaux, qui coulent tout doucement, tranquillement, sans jamais rencontrer dans leur lit aucun écueil. Mais son destin avait croisé celui d’Antonin Bassianus et depuis, sa vie était devenue un cauchemar. Chaque jour qui passait la laissait un peu plus paniquée, un peu plus faible et impuissante. Elle tremblait devant ce monstre comme devant une catastrophe, elle se faisait l’effet d’une femme tombée à l’eau sans savoir nager et qui ne sait pas comment échapper à la noyade.
Elle leva sur lui des yeux implorants.
— Cesse de me regarder comme ça ! gronda Varius.
Alors elle obtempéra, déroula ses paupières pour ne plus le voir et pour qu’il l’oublie.
Elle avait l’air d’une jolie et innocente naïade, sortie des ondes, avec sa stola blanche comme l’écume. Aucune créature ne pouvait paraître plus ingénue ni plus touchante que cette petite nymphe, qui semblait tout ignorer du mal et des
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