Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
sénateur dans l’assemblée.
— Tu vois cette grosse femme laide ? dit-il au soldat, va et rapporte-moi son châle vert !
Le vert était la couleur fétiche du petit peuple, alors que les aristocrates soutenaient traditionnellement la faction des Bleus.
Quelques secondes plus tard, le garde revenait dans la loge avec un long morceau d’étoffe, qu’il tendit respectueusement à l’adolescent. Dans les gradins, les clarissimes regardèrent, interdits, l’empereur s’en recouvrir la tête.
— Voilà, déclara Varius, satisfait. Maintenant ils savent que je soutiens le parti de mes pauvres !
— Cela n’est pas très seyant, fit remarquer Soemias avec une naïveté comique. Depuis quand portes-tu du vert avec du pourpre ?
Varius émit un petit gémissement consterné :
— Il y a des moments, ma pauvre Soemias, répondit-il à sa mère, où tu raisonnes vraiment comme une oie.
Au même instant, le président des jeux jeta le linge blanc dans l’arène, donnant le signal du départ. Les grilles des douze stalles s’ouvrirent simultanément et les concurrents s’élancèrent pour effectuer les sept tours traditionnels de la course.
Dans un nuage de poussière et un jaillissement d’étincelles, les auriges poussèrent leurs chevaux au galop autour de la spina (95) .
Très vite, les tribunes s’emplirent de cris hystériques, chacun hurlant et martelant son soutien au parti de son choix, encourageant ou conspuant tour à tour les cochers, lesquels, debout sur leurs légers chars de bois, les rênes passées autour de la taille et nouées dans le dos, menaient, sans entendre les hurlements de la vague humaine, leurs chevaux avec une maestria spectaculaire.
Dès le premier tour de piste, l’attelage des Bleus prit l’avantage, accélérant son allure à un rythme démentiel, profitant du fait que le char des Rouges, engagé à l’intérieur de la piste et contraint de négocier dangereusement le virage autour de l’une des bornes, dût ralentir sa course. Les Blancs et les Verts, quant à eux, se maintenaient derrière leurs concurrents et tentaient désespérément de remonter.
Varius afficha son dépit en croisant les bras d’un air boudeur.
— Peut-être devrais-tu ôter ton horrible châle vert ? ironisa sa mère, qui n’avait toujours pas digéré l’affront d’avoir été comparée au plus stupide des volatiles.
Aveuglés par le soleil et par la poussière qu’ils soulevaient, les auriges continuaient leur course folle et exaltante autour de la spina, symbolisant ainsi celle des sept astres de Ptolémée (96) autour de la terre. Au quatrième tour, à la surprise générale, les Verts parvinrent à rattraper leur retard et Varius laissa éclater sa joie.
Les concurrents couraient à présent tout près les uns des autres, au point de se toucher, et personne ne pouvait deviner lequel allait remporter la couronne de la victoire. Au septième tour de piste, dans l’ultime virage, ce fut l’aurige des Blancs qui cette fois frôla au plus près la meta (97) , obligeant ainsi ses adversaires à se déporter vers l’extérieur de la piste.
Mais le moyeu de sa roue heurta malencontreusement le bronze de la borne. Déséquilibré, le conducteur perdit le contrôle de son véhicule qui se renversa aussitôt. L’imprudent cocher eut cependant le temps, avant sa chute, de trancher les rênes qui le ceinturaient avec son poignard, afin de ne pas périr écrasé par le poids du char. Violemment projeté dans l’arène, son corps rebondit plusieurs fois sur le sable, tandis que les chevaux des autres quadriges, ne pouvant l’éviter, le piétinèrent impitoyablement.
Dans la dernière ligne droite, les Verts regagnèrent du terrain et arrivèrent vainqueurs.
— Élagabal a entendu ma prière, fit Varius en ajustant coquettement son châle sur ses cheveux blonds. Nous avons gagné !
Dans les heures qui suivirent, à la grande satisfaction du jeune homme, la faction de la plèbe remporta encore dix autres victoires, sur les vingt compétitions qui se déroulèrent tout au long de cette journée.
* * *
Les jours suivants virent alterner des spectacles en tous genres dans la ville : représentations théâtrales, luttes d’athlètes, combats de gladiateurs, parades, numéros de voltige et mises à mort d’animaux sauvages.
Lors d’une grande chasse donnée dans l’amphithéâtre Flavien, cinquante et un tigres furent massacrés en une seule fois par les venatoris
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