Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
ridiculement emphatique, Valerius Comazon fut tenté de lancer une remarque ironique. Mais l’ancien préfet de Raphanae devenu successivement préfet du prétoire et préfet de la ville, qui commençait à se sentir à l’aise dans son dur métier de parasite, préféra ravaler son commentaire.
— Cependant, ajouta Varius d’un air blasé, j’ai bien peur que ces courses finissent par me lasser et lasser le peuple. Des attelages de deux chevaux, trois chevaux, quatre chevaux… N’est-ce pas toujours la même chose ?
— Les dieux fassent que le peuple ne se fatigue jamais de nous ! répondit Protogène en riant. Ou alors, nous mangerons le foin de nos coursiers !
— Peut-être serait-il temps d’innover un peu ? poursuivit l’empereur. Pourquoi ne pas remplacer définitivement les chevaux par des quadriges de panthères ou de chameaux ? Ou des biges d’éléphants ?
— Si ce devait être le cas, répliqua cette fois Gordius, adieu gloire et sesterces ! Et adieu la liberté !
Les deux auriges, qui s’étaient illustrés dans l’arène plus de cinq cents fois, avaient déjà amassé un important pécule grâce aux confortables salaires qu’ils recevaient des domini factionum, leurs responsables d’écuries, et aux primes versées aux vainqueurs. Mais ils n’étaient pas pour autant des hommes libres. Et comme beaucoup d’autres, également de condition servile, les deux cochers caressaient le rêve que la répétition de leurs succès finirait par les affranchir un jour. De leurs exploits dépendait leur avenir. Il leur fallait gagner, toujours plus, et très vite, car la vie d’un conducteur de char pouvait être aussi courte que sa renommée. Peu d’entre eux avaient la chance de pouvoir, comme le célèbre Dioclès, se retirer vivants de l’arène, avec le statut de citoyen et trente-cinq millions de sesterces en coffre.
— N’as-tu jamais peur de mourir ? demanda Soemias à Protogène, en lui présentant un mollusque qu’elle avait délicatement extrait de sa coquille de nacre et qu’elle tenait entre ses ongles brillants :
— La mort ? répondit Protogène en riant. Pourquoi penserais-je à la mort ? Je préfère vivre intensément et périr dans la fleur de l’âge que de ne rien vivre du tout et traîner mon ennui jusqu’au jour où j’aurai une barbe blanche ! Peu importe si je tombe demain dans le grand cirque, j’aurai triomphé cinq cents fois de mes adversaires et j’aurai eu toutes les femmes de Rome, même les plus vertueuses !
— Et toi ? insista-t-elle en s’adressant à Gordius.
— Je pense la même chose, répliqua l’aurige au bout de la table. Je veux être dans la vie comme dans l’arène : je vais droit devant et je ne pense ni à ce qu’il y a derrière moi, ni à ce qu’il a devant moi !
Soemias eut un éclat de rire grave et rejeta avec coquetterie la tête en arrière, pour offrir la vision de ses seins opulents à Protogène. Celui-ci, habitué aux indécences féminines, se délecta sans vergogne de ce ravissant spectacle.
On apporta les sangliers d’Étrurie, les cigognes en sauce, les pintades de Carthage, les porcelets garnis de grives et de becfigues et le repas continua de se dérouler dans cette atmosphère joyeuse, chaude de plaisir, de paroles et de vin.
Gordius, intarissable sur ses exploits, s’exprimait fort avec de grands gestes ; Soemias roucoulait contre l’épaule de Protogène, dont le souffle caressait maintenant de façon plus qu’intime son cou aux veines bleues ; l’estropié, étranger à ce qui se passait dans la salle, se goinfrait malproprement et, de temps en temps, comme d’autres interrompent leurs agapes pour se rafraîchir les mains ou s’essuyer les lèvres, grattait ses puces et rotait.
Quant à Varius, étrangement silencieux pour une fois, il ne cessait d’observer l’athlétique Gordius.
Captivé par sa fierté arrogante et sa force, il rêvait en secret de toucher sa vaste poitrine, de sentir autour de lui l’étau de ses bras sculptés. Il savourait, sous ses cils à demi baissés, la vision des muscles de l’aurige qui roulaient et se contractaient sous la peau tannée.
Alors qu’il se perdait dans cette délicieuse contemplation, l’adolescent rencontra soudain l’œil de son épouse, fixé sur lui.
— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? demanda-t-il à Paula Cornelia en s’arrêtant de manger.
L’impératrice ne répondit pas, mais Varius devina aussitôt
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