Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
bouffonneries puériles cédèrent le pas à toutes ces provocations indignes.
CHAPITRE XVIII
Été 220
Varius décréta que l’inauguration du temple d’Élagabal coïnciderait avec l’intronisation de son dieu et marquerait du même coup l’instauration du culte solaire à Rome.
L’heure était enfin venue de présenter dans toute sa magnificence le divin bétyle au peuple et au Sénat. L’heure était enfin venue, pour la pierre sacrée, d’éclairer le monde et d’y établir sa souveraineté.
Afin de préparer les esprits à cet événement grandiose et inoubliable, à ce jour glorieux qui devait marquer le début de la vénération universelle d’Élagabal, l’empereur fit graver des pièces de monnaie qui portaient l’inscription, sous son effigie, de grand prêtre « suprême » et « sublime » de l’Invincible Soleil.
Maesa, que l’angoisse rendait plus agressive que jamais, attendait l’événement avec appréhension tandis que Varius, bien entendu, rayonnait de bonheur et tremblait d’une excitation intense.
— Pourquoi une cérémonie publique ? demanda-t-elle, dans l’espoir de faire renoncer son petit-fils à une lamentable exhibition qui, elle le pressentait instinctivement, ne pouvait qu’indigner l’aristocratie. Ne peux-tu pas transférer Élagabal plus discrètement dans son nouveau temple ?
— Non, répondit sèchement Varius.
— Pourquoi infliger aux clarissimes et aux dignitaires un spectacle qui risque de les surprendre ou de les choquer ?
— Un spectacle ? répéta l’adolescent, en levant les sourcils. Mais il ne s’agit pas seulement d’une procession exotique, grand-mère. Je veux qu’Élagabal soit reconnu comme le plus grand dieu de la terre et des cieux !
— Je ne te reproche pas de rester fidèle à Élagabal, bien au contraire. Cette piété honore notre famille et la mémoire de nos ancêtres. Je te déconseille seulement de vouloir imposer le culte de la pierre sacrée au peuple de Rome.
— Élagabal est le Grand Principe, et à ce titre, il prétend naturellement à l’adoration de tous les hommes.
— C’est ton orgueil qui y prétend ! s’emporta Maesa. Si tu crois que les Romains sont prêts à accepter un dieu unique qui détrônera les leurs, à fortiori un dieu étranger dont ils ne connaissent même pas le nom, tu te trompes lourdement ! Nous avons déjà eu cette conversation à Nicomédie. Souviens-toi de ce que je t’ai dit : les Romains admettent volontiers dans leur ville toutes les dévotions du monde mais à condition qu’elles ne portent pas ombrage à la leur. Tu es grand pontife, et à ce titre, tu dois tes premiers hommages aux dieux de l’État, en particulier à Jupiter Capitolin, duquel tu tiens ton pouvoir !
À ces mots, Varius se boucha immédiatement les oreilles, comme s’il venait d’entendre la plus immonde des injures, la plus terrible des paroles blasphématoires.
— Tais-toi ! cria-t-il, tais-toi ! Je dois à Élagabal ma vie et ma fortune ! Je dois à Élagabal d’être l’empereur du monde et je lui ai fait la promesse, à Émèse, de faire de lui le maître de l’univers ! J’espère pour toi qu’il ne t’a pas entendue ! J’espère que tu ne l’as pas offensé par ces mots qui coulent comme le fiel de ta bouche impure !
— Je ne suis pas superstitieuse, déclara Maesa, redevenue impassible. Et cesse tes gamineries.
Retirant ses mains de ses oreilles, Varius eut un de ses revirements habituels et l’envisagea tout à coup avec un sourire sardonique :
— Tant pis pour toi s’il t’a entendue. Car sa colère peut être terrible…
— Pour l’instant, répondit sa grand-mère en lui lançant un regard sévère, je crains surtout la réaction des clarissimes et des soldats. Même s’ils sont habitués aux excentricités des cultes orientaux, s’ils ont déjà vu l’idole de la Grande Mère se baigner dans l’Almo et les fanatiques de Cybèle se châtrer en public, sache qu’ils regardent ces pratiques rituelles avec dédain ou curiosité, quand elles ne leur inspirent pas le plus profond dégoût. Et jamais ils n’ont encore vu leur César se trémousser en public en l’honneur d’un dieu syrien !
Varius dévisagea sa grand-mère avec un visage fermé, un masque qui ne laissait rien percer de la colère qui l’envahissait.
— Caligula célébrait bien les rites d’Isis, si j’en crois ce qu’on m’a rapporté, dit-il lentement. J’ai
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