Le scandaleux Héliogabale : Empereur, prêtre et pornocrate
n’ont pas tort : ils auront droit à des déguisements, des hurlements et du sang. Comme dans l’arène.
En effet, entassés dans la vaste cour et sur les abords du sanctuaire, les dizaines de milliers de spectateurs en liesse trépignaient, jouaient des coudes et se poussaient pour avoir une meilleure vue, excités comme aux plus beaux jours des Saturnales (100) .
Quelques-uns, accablés de chaleur, n’en pouvant plus d’attendre et de suer, pestaient et injuriaient allègrement le soleil qui brûlait leurs pauvres crânes, oubliant déjà qu’ils s’étaient déplacés jusque-là pour rendre hommage à sa gloire ! Des voisins se reconnaissaient dans la foule et se saluaient cordialement, des amoureux profitaient de l’heureuse promiscuité pour risquer des rapprochements et des baisers volés, des familles avaient sorti leurs provisions et commençaient à manger. Partout les enfants impatients couinaient, se hissaient sur leurs pieds, tandis que leurs parents bavardaient, riaient, se disputaient la place.
À une respectueuse distance de cette grande ruche vivante et bourdonnante, protégés par une ligne de prétoriens en armes, attendaient également les sénateurs, les chevaliers, les favoris de Varius et la famille impériale au grand complet.
Mais contrairement à la plèbe qui transpirait et piétinait, ces invités de qualité patientaient à l’ombre d’un grand vélum qu’on avait tendu au-dessus de leurs têtes et sur de confortables banquettes disposées en demi-cercle, en manière de théâtre.
Un éclat de trompettes retentit soudain et la foule agglutinée se tut, fixant comme un seul homme l’esplanade du temple.
Les spectateurs virent alors arriver le dieu de Varius, ce dieu syrien incarné dans la pierre, dont la popularité n’avait jamais dépassé les frontières de la poussiéreuse ville d’Émèse, mais qui, aujourd’hui, s’apprêtait à recevoir de l’empereur une consécration telle qu’aucune divinité romaine ou étrangère n’en avait jamais reçu dans la cité de la louve.
Depuis son arrivée au Palatin, Élagabal avait vécu humblement retiré dans une pièce de la Domus Augustana, avec pour seuls visiteurs son grand prêtre et ses fidèles desservants. Mais en cette matinée de juin, qui coïncidait symboliquement avec la Canicule, la période magique de l’année où l’étoile de Sirius se lève avec le soleil et marque ainsi le début de l’été, le morceau de roche sortait enfin de sa retraite pour s’offrir à l’adoration de tout un peuple.
Le divin bétyle se tenait dressé sur un large coussin, fièrement protégé par son aigle fétiche, à demi-caché aux yeux des profanes par son costume cérémonial. Ses ornatricis (101) l’avaient habillé d’un manteau somptueux dont l’une des faces était bleue, claire et brillante, l’autre d’un noir intense, un manteau qui semblait avoir été taillé dans une pièce d’étoffe impalpable et aérienne, rappelant à la fois la pureté de l’azur et le sombre éclat de l’Éther.
Il était posé sur une grande litière, rutilante d’or et de gemmes, que les porteurs sacrés amenaient d’un pas lent vers sa somptueuse demeure.
— Le voilà ! souffla Protogène à l’oreille de Gordius, assis à ses côtés aux places d’honneur. Je ne l’avais encore jamais vu !
— Qu’est-ce que c’est ? Moi je ne vois rien.
— C’est un gros rocher pointu. En tout cas, ça y ressemble…
— Mais qu’a-t-elle de si extraordinaire, cette pierre ?
— Antonin prétend qu’elle est tombée du ciel sur le sommet d’une montagne et que le soleil habite dedans. Ou bien que c’est le soleil lui-même… Oh, je n’ai pas tout compris, je dois l’avouer !
Lorsqu’ils eurent monté les escaliers et traversé le pronaos du sanctuaire, les porteurs amenèrent Élagabal au cœur de sa maison, dans la cella du temple, et le posèrent avec respect sur un grand piédestal en marbre. Puis ils se retirèrent, laissant la place aux courtisans, tous ces Syriens initiés depuis longtemps au culte de la pierre et venus d’Émèse avec elle.
Les Orientaux se déployèrent alors sur l’esplanade du temple en exécutant d’étranges mouvements de danse, balançant les hanches et les épaules, tournoyant dans leurs costumes lâches et bariolés. Et, tout en se livrant à ce ballet grotesque et désordonné, ils se mirent à agiter fébrilement des sistres d’or et d’argent. Ce concert affreux
Weitere Kostenlose Bücher