Le Secret de l'enclos du Temple
apportent aiguières et linges parfumés afin que chacun se nettoie les mains avant de s'installer. François, qui jouait le rôle de maître d'hôtel, servit le vin, tandis que la femme de chambre aidait la cuisinière à préparer les plats, Armande ayant prévu cinq services.
À la demande de Louis, Boutier donna tout de suite des nouvelles de la Cour. Pour l'essentiel, Gaston les connaissait, ainsi qu'Armande et Angélique, mais Louis en était resté à ce que lui avait raconté Rossignol.
— Après l'arrêt d'union, que Mazarin appelle l'« arrêt d'Oignon », ce qui fait au moins rire les railleurs, les députés des quatre compagnies se sont à nouveau réunis malgré l'interdiction qui leur en avait été faite. Par représailles, le Conseil royal a décidé de ne plus payer les gages des officiers rebelles et a révoqué à nouveau le droit annuel. Il s'est alors produit quelque chose d'invraisemblable : les conseillers ont décidé que nul ne serait reçu aux offices libérés sans le consentement des héritiers ! Ainsi les compagnies ont décrété la propriété des charges contre l'ordre de la Cour ! Voilà pourquoi la reine a fait arrêter les magistrats du Grand Conseil les plus remuants.
— Tu devines, Louis, intervint Gaston, que M. Boutier et moi-même sommes dans une situation délicate. M. Boutier est désormais conseiller et vote avec ses pairs. Quant à moi, je t'ai raconté dans ma dernière lettre l'offre que m'avait faite M. Séguier. J'ai reçu ces jours-ci ma lettre de commission de maître des requêtes, ainsi que le premier quartier de mes gages, cependant réduit d'un quart. Si je prends parti pour le Parlement, je perdrai mon brevet, et si je suis fidèle à la Cour, je ne resterai pas longtemps maître des requêtes, car les conseillers parlent d'annuler toutes les lettres de commission !
— Tous les conseillers ne s'opposent pas à la Cour, Dieu soit loué ! intervint Boutier. MM. de Mesmes et Molé restent fidèles, et M. d'Avaux est rentré à Paris. La reine sait qu'elle peut compter sur eux.
Alors qu'ils s'exprimaient ainsi, Louis s'abîmait dans le silence. Il songeait à son père qui s'était placé dans le parti de la bourgeoisie, désormais ouvertement opposé à la Cour, et se disait que s'il n'avait pas été anobli, il s'y serait certainement aussi rangé, alors que Gaston appartenait à l'autre camp ! Il lui fallait donc convaincre sa famille d'éviter de s'engager trop du côté des rebelles. Mais l'écouteraient-ils ? Se pouvait-il que lui et ses parents se découvrent ennemis ?
Il frissonna d'inquiétude.
— Que va-t-il se passer selon vous ? demanda Julie à M. Boutier.
Le nouveau conseiller au Parlement haussa les épaules avec un air désabusé :
— La force va l'emporter ! Le Parlement n'a pas d'armée et pas de chef. Certes le peuple est prêt à suivre aveuglément quelques conseillers insolents, comme Broussel, ou des hommes qu'ils idolâtrent, comme le coadjuteur. Mais ni Broussel ni Gondi ne prendront le risque de finir sur l'échafaud. Et sans chef, aucune grande révolte ne peut durer. La dernière était la Ligue et s'est éteinte après la mort du duc de Guise.
C'est vrai, songea Louis, mais au prix d'une atroce guerre civile dans Paris qui a duré plusieurs années.
Pour changer de sujet, ils parlèrent de la mort de Voiture ; si bien que le repas resta morose. Même Bauer paraissait contrarié. Il faut dire qu'il avait eu une nouvelle discussion orageuse avec sa maîtresse, Marie Gaultier. Celle-ci lui avait annoncé qu'elle ne voulait plus vivre dans le péché avec lui, car le prêtre qui la confessait s'inquiétait pour son âme et craignait qu'elle soit damnée.
En mastiquant rageusement un morceau de sanglier, Bauer songeait qu'il mettrait volontiers le feu à l'église de ce maudit curé.
103 Ces mots sont extraits des Mémoires de Bussy-Rabutin.
104 L'Académie française, dont il fut un des membres fondateurs, prit le deuil quand il mourut, honneur qu'elle n'a plus jamais fait à d'autres.
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L e dimanche de la Pentecôte, dernier jour du mois de mai, le coadjuteur Jean-François Paul de Gondi, en rochet et camail 105 , rentra chez lui à pied depuis Notre-Dame où il avait prêché et célébré la messe. Depuis qu'il était évêque, il pratiquait à chaque grande fête religieuse ce qu'il appelait son devoir de prêche . Cette attitude lui avait assuré une immense popularité auprès des
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