Le Secret de l'enclos du Temple
porte de l'antichambre pour laisser entrer le coadjuteur et l'abbé Ménage. Deux hommes attendaient dans la pièce. Paul de Gondi, très myope, cligna un instant des yeux afin de bien identifier les silhouettes qui venaient de se lever.
L'un affichait un visage décidé, une bouche ferme, des sourcils épais et de larges épaules. Bien qu'en habit noir et sans épée, il avait tout de l'homme d'action. Le second était de taille médiocre avec un embonpoint précoce, des yeux sombres, cernés, sur un teint cendré et maladif. Il portait une robe et un bonnet de magistrat.
— Mes amis, je n'ai pu arriver plus vite ! Je suis désolé de vous avoir fait attendre.
Celui au physique d'aventurier se nommait Guy Joly. Conseiller au Châtelet, c'est son oncle, chanoine de Notre-Dame, qui l'avait présenté au coadjuteur. Gondi avait tout de suite été séduit par ce jeune homme audacieux et à l'esprit fécond en expédients.
Le second ne ressemblait en rien à Joly, tant par le physique que par le caractère. Robert Miron 106 était maître des comptes, conseiller au parlement de Rouen, colonel du quartier de Saint-Germain-l'Auxerrois et avait pour frère le président de la chambre des enquêtes, ami du médecin Guy Patin. C'était un homme de bien et de cœur, qui avait beaucoup de crédit parmi le peuple.
Mais ces deux personnages, si différents, partageaient un même sentiment. Ils éprouvaient une admiration à toute épreuve envers le coadjuteur, et Paul de Gondi savait pouvoir compter sur leur totale fidélité.
Après une brève accolade, tout le monde passa dans la pièce d'à côté, le grand cabinet de travail où attendait le premier valet de chambre de l'évêque, un homme d'une cinquantaine d'années au visage inexpressif. Celui-ci avait pris la précaution d'ouvrir la porte suivante, celle donnant dans le petit salon, une salle richement meublée et décorée de tapisseries et de miroirs. Sur la table couverte d'un tapis damassé aux franges dorées, quatre couverts et quatre fauteuils tapissés attendaient les convives. Plusieurs laquais et le maître d'hôtel s'apprêtaient à servir des boissons.
— Messieurs, accordez-moi quelques minutes, le temps de me changer, demanda Paul de Gondi. En attendant, faites-vous servir de cet excellent vin de Beaune que je viens de recevoir.
*
L'abbé Ménage resta avec Joly et Miron pendant que le coadjuteur, précédé de son valet de chambre, se rendait dans sa chambre mitoyenne.
C'était une immense pièce au parquet jonché de tapis de Turquie où, sur une vaste estrade, trônait un grand lit à custode et hauts piliers peints et sculptés. Le coadjuteur passa dans le privé qui jouxtait son cabinet de toilette, puis se lava les mains dans une bassine avant de revenir dans la chambre où son valet avait disposé les vêtements qu'il porterait pour le dîner.
Comme le domestique détachait les boutons de son camail et de son rochet, Gondi jeta un coup d'œil satisfait au grand tableau en pied accroché entre deux tentures qui le représentait revêtu d'une cuirasse d'acier et l'épée à la main.
Ensuite, le coadjuteur enleva sa soutane, enfila une chemise en fine toile de Hollande, puis des chausses et des bas de soie et, avec l'aide de son valet, chaussa de hautes bottes de cavalier à revers et ronds de botte en dentelles. Le domestique lui attacha des éperons de cuivre, puis lui tendit le pourpoint en chevreau. Enfin, il lui noua des galans et des rubans multicolores aux poignets, aux coudes, aux chausses, aux jarretières et à la taille, soignant particulièrement les ganses en forme de petite oie. Il présenta ensuite à son maître un baudrier brodé et passementé et un haut feutre emplumé. Paul de Gondi glissa lui-même le fourreau de son épée à poignée d'argent dans le baudrier et s'examina avec satisfaction devant le grand miroir de Venise.
Il soupira. Certes, il n'était pas grand, mais pas plus petit que le prince de Conti, et surtout pas tordu comme ce nabot, bien qu'un peu trop rond de corps.
Il se redressa fièrement en bombant le torse.
Évidemment, il n'avait pas le fin visage de Conti, mais il était autrement plus beau que le prince de Condé. Au moins son nez n'était-il pas long et crochu comme un bec d'oiseau de proie, même s'il avait un peu trop la forme d'une marmite. Quant à sa peau foncée, qui lui valait le qualificatif de Don Moricaud, ne lui assurait-elle pas auprès des dames le charme de l'aventurier
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