Le Secret de l'enclos du Temple
Parlement, comme l'avaient sans doute fait, depuis, le prince de Conti, M. de Longueville et M. de La Rochefoucauld. Il en fut stupéfait, surtout s'agissant du frère et de la sœur de Condé. Jusqu'à présent, il n'y avait qu'un conflit entre le Parlement et la Cour mais une sédition des grands faisait revenir le pays des dizaines d'années en arrière, à l'époque des guerres de Religion. La situation actuelle se révélait même pire puisque, durant la Ligue, le Parlement était resté soumis au roi ; les ligueurs avaient d'ailleurs pendu le président Brisson pour sa fidélité à Henri III.
La royauté pouvait-elle résister à la triple pression des grands, du Parlement et du peuple de Paris ? Et si ces gens réussissaient à imposer leur loi, qu'espéraient-ils ? Tout les séparait : le peuple demandait moins d'impôts, le Parlement voulait préserver ses privilèges et les grands désiraient de nouveaux avantages. Leur victoire ne pouvait qu'entraîner le chaos.
— Tu oublies Paul de Gondi, Louis, dit Gaston après que son ami se fut exprimé ; c'est lui qui tire les ficelles. Non seulement, le coadjuteur dispose de l'autorité des curés de Paris, mais il est déterminé à prendre la place de Mazarin ! Les autres sont uniquement ses marionnettes. Ce sera lui le vainqueur, mais il aura provoqué le malheur du peuple.
— Comment Gondi parviendrait-il à vaincre le roi et l'armée de Mgr de Condé ? demanda Julie, décontenancée et inquiète de l'avenir.
— Bouillon est un bon général, gabable de denir le Prince en échec, remarqua Bauer avec son accent guttural.
— Mais il n'a pas d'armée, monsieur Friedrich ! ne put s'empêcher d'intervenir l'exempt Desgrais.
— Le duc de Beaufort rassemblera aisément quelques milliers de gueux, expliqua Gaston. Le coadjuteur peut compter sur la milice urbaine dont la plupart des colonels de quartier sont ses amis. Par les prêches des curés dans les paroisses, Gondi incitera les gens à s'engager dans une armée populaire. Enfin, le parlement a réactivé la taxe de Corbie, et avec ça il lui est aisé de lever facilement dix ou vingt mille mercenaires.
La Goutte approuva.
— Mais que pourrait faire une telle armée, mal équipée, pas entraînée, face aux régiments de vétérans du Prince ? rétorqua Louis, sans cacher son incrédulité quant à une victoire populaire.
Gaston secoua la tête en déclarant, sombrement :
— Tout finira dans le sang…
Le récit de son ami ne pouvait rassurer Louis, inquiet surtout pour ses parents. Il songea même à aller à Paris, mais Gaston l'en dissuada : il n'arriverait jamais à entrer dans la ville, et quand bien même il y parviendrait, il ne pourrait aider personne.
— Pense plutôt à Mercy, lui dit-il. Ici même, vous avez tout à craindre…
Il parla alors des pillages commis par les troupes non payées.
— Dieu soit loué, il n'y en a pas à proximité ! assura son ami. Et nous n'avons connu aucun problème jusqu'à présent. Je crois d'ailleurs que pas un pillard ne s'intéressera à Mercy ; nous sommes trop à l'écart des routes. Et puis, Condé tient certainement son armée d'une main de fer et veille à ce qu'il n'y ait pas de maraudeurs à proximité de Chantilly, sauf ses chevau-légers. Quant à M. de Champlâtreux, maintenant qu'il est intendant de Picardie, il empêchera les régiments picards de s'approcher du château de son père à Luzarches ! Entre les deux, Mercy est finalement bien protégé.
— Ce n'est pas l'armée régulière que je crains, Louis, mais les mercenaires allemands et croates que Mazarin et la régente ont fait entrer en France. Non payés, ils vivent sur le terrain, mettant à sac fermes et châteaux, forçant femmes et filles en toute impunité.
Il s'adressa à toute la tablée qui l'écoutait avec appréhension :
— Savez-vous que c'est une arme qu'utilise Mazarin ? Il fait cantonner des mercenaires à proximité des maisons des parlementaires rétifs, et si ceux-ci persistent dans leur désobéissance, laisse les troupes piller leurs biens. Voilà trois mois que ça dure.
— Je ne risque rien, dans ce cas, plaisanta Louis. Mazarin ne craint rien de moi !
Gaston ne répondit pas d'emblée. M. Molé était tout de même le président de ce Parlement en train de se dresser contre la Cour. Même si on le savait fidèle à la royauté, qui pouvait être certain que Mazarin ou la reine ne chercherait pas à le punir en
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