Le Secret de l'enclos du Temple
faisant saccager Luzarches ? Prudent, il garda ses craintes pour lui : inutile d'inquiéter les autres inutilement. Seule Julie, qui l'observait, avait deviné sa pensée.
Il changea alors de sujet.
— Notre arrivée ne va-t-elle pas causer de l'embarras ? interrogea-t-il. Nous représentons tout de même huit bouches de plus à nourrir…
— Au contraire, Gaston, répondit affectueusement Julie. Je me sens rassurée avec les hommes qui t'accompagnent. Je sais que MM. La Goutte et Desgrais sont vaillants et François a montré son courage à ton service.
— En cas d'attaque de pillards, êtes-vous prêts ? demanda Tilly.
— Le château a été transformé pour soutenir un siège, dit Louis. Les hourds extérieurs, qui courent le long du deuxième étage, font communiquer toutes les pièces et sont garnis de grosses pierres à lancer sur des assaillants. Plusieurs fenêtres du premier étage sont condamnées par des volets et une barricade de chêne double la grille d'entrée. Pour la nourriture, je n'ai pas de crainte : il y a dans les celliers de quoi tenir des semaines, que ce soit pour les hommes ou en fourrage pour les bêtes. Ce qui m'inquiète, en revanche, ce sont nos paysans. Nos quatre dizaines s'entraînent chaque semaine, mais une bataille n'est pas un exercice et je me souviens de Rocroy ! Comment se comporteront-ils en cas d'affrontement ? Ils pourraient bien se débander… Si le pire arrivait, il est évident, Gaston, que nous aurons besoin de toi et de tes gens.
Chacun se perdit dans le silence, alors que Bauer grimaçait. Il savait combien le fracas des mousquetades, les hurlements des blessés, les tirs assourdissants des canons terrorisaient n'importe qui, même bien entraîné.
*
Dans les jours qui suivirent, Gaston examina les défenses avec Bauer et n'y trouva rien à redire. Pour le reste, les récoltes avaient été si mauvaises que tout le bétail avait été vendu. Ne restaient qu'une basse-cour de canards, de poules et d'oies, ainsi qu'un petit troupeau de quelques moutons et de chèvres. Il y avait aussi six cochons dans un enclos en lisière du bois, et bien sûr les bœufs de labour, les mules et huit chevaux. En cas d'attaque, ces animaux pouvaient être rapidement enfermés dans la cour. Quant aux hommes, femmes et enfants, ils représentaient une centaine d'âmes à loger et nourrir. Soit beaucoup de monde même si on n'avait à les aider que deux ou trois jours, très vite les autorités de Senlis se voyant prévenues.
Le fourrage et les grains étant aussi entreposés dans le château, rien ne pourrait être volé ; à condition que l'alerte soit donnée assez tôt. Bauer envoyait chaque jour des guetteurs sur les chemins. L'un s'installait dans une hutte de branches construite au sommet d'un grand chêne, en lisière de la forêt, et deux autres près des routes de Senlis et de Royaumont. Ceux-là, à cheval, pouvaient revenir rapidement. La cloche de la chapelle avait été transportée au château et placée au sommet d'un toit. C'est elle qui donnerait l'alerte grâce à un son clair, qui portait très loin.
— Je crois qu'on ne peut rien entreprendre de plus, avait conclu Louis à son ami, après qu'ils eurent parcouru le domaine. J'ai plus de souci avec les récoltes…
— En arrivant, j'ai vu pourtant les champs semés.
— Oui, mais ceux en bordure de la rivière sont déjà noyés. Heureusement, malgré les mauvaises récoltes de l'année dernière, il n'y aura pas de famine dans les mois à venir. Après avoir mis de côté les semences, j'ai pu entreposer au château quarante setiers de froment, et presque autant de méteil et d'orge 160 . Un setier nourrit entre quatre et six personnes par mois, donc chacun mangera à sa faim jusqu'à l'été. C'est la suite que je redoute… Le froment semé à l'automne risque d'être perdu si la pluie ne cesse pas. Après, il nous restera seulement de l'orge et de l'avoine. Les gens pourront toujours se nourrir de bouillie, mais le domaine ne rapportera rien, puisque je n'ai plus de bétail. Je serai donc contraint d'emprunter à nouveau auprès de la banque Tallemant.
— J'ai vu son frère avant de partir, au sujet du prêt obtenu afin de payer ma charge. Il m'a dit que leur banque avait été taxée pour avoir participé à des traités… Ils rencontrent des difficultés, eux aussi…
— Décidément, nous avons tous besoin d'argent ! soupira Louis. Quand je pense que je sais où se trouve
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