Le Secret de l'enclos du Temple
lieutenants, MM. les ducs d'Elbeuf et de Bouillon.
« Ces généraux de pacotille ont vaillamment pris l'Arsenal et la Bastille le 12 janvier, plaisanta-t-il, et le fils de M. Broussel en a été nommé gouverneur. Pendant ce temps, la Seine noyait la plupart des rues. Le faubourg Saint-Antoine se retrouvait sous les eaux, ainsi que l'île Saint-Louis et le faubourg Saint-Germain.
« Quelques jours après la prise de la Bastille, les parlementaires ont écrit aux provinces pour leur demander de se joindre à eux. Le parlement de Rouen hésite toujours mais celui d'Aix a sauté le pas, car avait couru la rumeur que le comte d'Alais – le gouverneur de Provence – voulait faire assassiner quelques parlementaires frondeurs.
— Il en était capable, sourit Louis.
— Vous le connaissez ?
— Avec Gaston nous l'avons rencontré.
— Je l'ignorais ! Quoi qu'il en soit, lors d'une procession, la populace a appelé aux armes et pillé les maisons des amis du comte d'Alais, qui est pour l'instant assiégé dans son palais sans que Mgr Mazarin ait les moyens de lui porter secours 163 … J'y pense soudain : Monsieur le Prince m'avait dit que vous vous étiez intéressés au jeune Tancrède de Rohan…
— En effet, répondit prudemment Louis qui ne parlait jamais des affaires dont il s'était occupé 164 .
— Le pauvre garçon s'est engagé dans un régiment des parlementaires et a été blessé au premier combat. Il est mort le lendemain dans d'étranges circonstances. Sa sœur et M. Chabot ont dû se réjouir.
Champlâtreux poursuivit :
— Après quelques escarmouches entre notre armée et celle des bourgeois, la reine a accepté de convoquer les États généraux. Cela n'a pas calmé M. le coadjuteur qui a levé un régiment de chevau-légers appelé aussitôt les Corinthiens 165 . Ces pauvres bourgeois ont tenté une sortie pour montrer leur force et se sont fait tailler en pièces au pont d'Antony !
— Avez-vous des nouvelles de M. de La Rochefoucauld ? s'enquit Louis qui aimait bien le duc, lequel lui avait sauvé la vie 166 .
— Sa maîtresse, Mme de Longueville, a accouché publiquement de son fils à l'Hôtel de Ville ! annonça Champlâtreux dans un rire paillard ! L'enfant sera comte de Saint-Paul, et c'est Gondi qui l'a baptisé à Saint-Jean-en-Grève, avec pour parrain le prévôt des marchands, M. Le Féron. Mais pour en revenir aux choses tristes, savez-vous que M. de Châtillon a trouvé la mort durant les combats de Charenton ?
— Châtillon ? murmura Louis, atterré. Ce n'est pas possible ! J'étais encore avec lui chez Mme de Rambouillet voici deux mois…
Ainsi Gaspard de Coligny n'aurait survécu que cinq ans à son frère Maurice, tué en duel sur la place Royale par le duc de Guise ! Avec lui s'éteignait l'illustre branche des Coligny, et Louis perdait quelqu'un qui lui avait toujours témoigné son amitié.
— Il a reçu un coup de mousquet dans le petit-ventre. C'était un brave, et tout le monde l'a pleuré, sauf peut-être sa veuve qui saura bien se consoler, ironisa Champlâtreux dans un cynisme qui révolta l'assistance. Cette mort a mis le Prince dans une grande affliction, car Châtillon était à la fois son parent et son meilleur ami. Il l'a donc rudement vengé : tous les bourgeois qu'il avait capturés ont été mutilés et jetés dans la Seine encore vivants.
Louis frémit ensuite aux détails des autres horreurs que raconta M. de Champlâtreux. Pour changer de sujet, il voulut savoir où se trouvait le comte de Bussy.
— Il était aussi à Charenton et le Prince l'a remercié pour son engagement dans la bataille. Avec la prise du village, Paris est désormais assiégée par plus de douze mille hommes et plus aucun convoi de nourriture n'arrive à franchir les portes.
— Il faudra bien que s'engagent des discussions, soupira Gaston.
— Il n'est que temps ! approuva Champlâtreux. Mon père est très inquiet, surtout après ce qui s'est passé en Angleterre.
— Qu'est-il arrivé ? demanda Julie.
— Vous l'ignorez ? Vous saviez que leur roi Charles était emprisonné, que leur Parlement l'avait condamné ?
— Oui, bien sûr.
— Les gens de Cromwell lui ont coupé la tête le 8 février, sur l'échafaud, comme un criminel.
À ces mots terribles, tous les gens de Mercy blêmirent d'effroi. Bien sûr, depuis un siècle, bien des prédicateurs avaient assuré que les peuples pouvaient se soustraire à la
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