Le Secret de l'enclos du Temple
serait livrée aux mercenaires allemands, et si elle résistait, ce serait l'instauration d'une tyrannie pire que celle de la Ligue. Tant pis si l'étude était pillée, écrivait-il, son épouse et lui voulait au moins que sa famille et ses gens échappent à ce massacre.
Louis termina la lettre à haute voix, dans un silence pesant.
— Votre père n'est pas le plus à plaindre, monsieur le marquis, intervint Guillaume, voulant sans doute rassurer le fils de son maître. Les frondeurs auraient volé deux cent cinquante mille livres à un contrôleur des gabelles et toute sa vaisselle d'argent à M. d'Émery. Avec dix pour cent des prises, ils font de bonnes affaires. Ils emportent aussi les bijoux des femmes des maisons qu'ils perquisitionnent et votre mère a pu cacher les siens.
— Que savez-vous d'autre, Guillaume ? intervint Gaston. Nous sommes sans nouvelles de Paris depuis que M. de Champlâtreux est venu nous secourir.
— Vous secourir, monsieur ? s'inquiéta l'ancien soldat.
— Oui, le château a été attaqué par un escadron de mercenaires allemands. Nous les avons mis en fuite, mais au prix de lourdes pertes, expliqua Louis.
— Vous avez eu de la chance, fit lentement le domestique. En venant, j'ai vu bien des châteaux brûlés…
— Bas de la chance ! intervint Bauer. Nous étions les plus forts !
Il éclata d'un rire tonitruant qui fit vibrer la grande salle.
— Je sais que le Parlement a reçu un envoyé du gouverneur des Pays-Bas. M. Broussel et ses amis envisagent de faire entrer les Espagnols dans Paris. C'est aussi cela qui a fait changer d'avis votre père. Au début, comme nous tous, il voulait seulement que la Cour chasse le Mazarin, mais accepter que l'Espagnol occupe la ville ? Jamais !
— Tout de même, des hommes de bien doivent s'y opposer ! s'insurgea Fronsac.
— Votre père m'a dit que le président de Mesmes aurait pleuré devant le prince de Conti lorsqu'il a appris la venue de l'envoyé de l'archiduc. Il lui aurait même déclaré : Est-il possible, monsieur, qu'un prince du sang de France propose de donner séance 167 sur les fleurs de lys à un député du plus cruel ennemi des fleurs de lys ? Mais ça n'a servi à rien ! Beaucoup de sots assurent qu'un Espagnol ne leur fait pas aussi peur qu'un Mazarin ! Ils ne diront plus ça quand on les pendra !
Ces inquiétantes nouvelles confirmaient ce qu'avait rapporté Champlâtreux sur l'arrivée de l'armée espagnole en Picardie, songea Louis.
— M. de Champlâtreux nous a raconté qu'il y avait eu de sanglantes batailles autour de Paris, commenta Gaston.
— En effet, monsieur, répondit Guillaume en trempant du pain dans sa soupe. Les malheureux Parisiens envoyés à la bataille ne savaient même pas manier une pique et la plupart y ont laissé leur vie. Il y a eu aussi bien des gentilshommes blessés ou tués comme MM. de Châtillon et La Rochefoucauld.
— La Rochefoucauld ? Que s'est-il passé ? s'effara Louis, qui aimait beaucoup le duc malgré ses éternelles hésitations.
— Vous l'ignorez ? s'étonna l'ancien soldat en levant les yeux. Pour protéger un convoi de blé, il occupait un défilé mais comme il est d'un naturel emporté, il est sorti de son poste afin de charger avec ses escadrons de bourgeois. Seulement, en face, les vieilles troupes du prince les ont taillés en pièce et le duc a été blessé d'un coup de pistolet à la gorge.
— Dans quel état est-il ? demanda Gaston.
— On l'a ramené à Paris. Il loge à son hôtel où on le soigne bien.
— Mon père parle de négociations dans sa lettre. Où en sont-elles ?
Guillaume eut une moue dubitative.
— Elles ont commencé seulement lorsque le Parlement a appris que M. de Turenne avait été abandonné de ses troupes. Les quatre compagnies ont alors envoyé des députés à Saint-Germain, avec à leur tête M. Molé. Mais ils n'ont rien obtenu dans la mesure où la reine exige une capitulation totale. Tout va dépendre des Espagnols, maintenant. S'ils s'approchent de Paris, la reine sera contrainte à plus de souplesse.
La décision de Louis fut vite prise.
— Je pars pour Saint-Germain, dit-il. Je verrai M. Molé qui me fera un passeport pour entrer dans Paris. Je convaincrai Gondi de laisser sortir ma famille, nos amis et nos serviteurs.
— Je vais avec vous, monsieur, décida Bauer.
— Non, camarade, ce ne serait pas raisonnable : on a besoin de toi ici. Je confie les habitants
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