Le Secret de l'enclos du Temple
temps, il s'interrogeait sur le cousin de la marquise. Ainsi, il allait rencontrer celui qui avait vaincu Gaston à l'épée, cet homme que son ami n'aimait pas, mais avec qui il regrettait pourtant de s'être querellé. Quel genre d'individu était-il ?
Très élégant dans un costume de ville avec épée à poignée d'argent, mais court de taille, noir de peau comme un Sarrasin avec un nez en marmite et des cheveux crépus, Don Moricaud de Corinthe comme on le surnommait, c'est-à-dire Paul de Gondi, coadjuteur de l'archevêque de Paris, animait une galante conversation avec deux dames fort charmantes, espérant sans doute quelque digne récompense de leur part. La première était Françoise de Motteville, la première dame de compagnie d'Anne d'Autriche, sa confidente aussi ; une jeune femme aux traits fins et au regard observateur, vêtue d'une simple robe de velours sombre avec un corsage à basque décoré d'un collet en dentelle de Bruges. La seconde était Anne Cornuel, en friponne à manches bouillonnées et à bas retroussé et épinglé, laissant bien apercevoir la secrète , cette seconde jupe qu'on ne montrait en principe qu'à son amant.
Paul de Gondi, qui raffolait des femmes, ne pouvait certainement obtenir d'avantages de Mme de Motteville, réputée pour sa réserve et sa vertu. En revanche, il espérait sans doute quelque bénéfice d'Anne Cornuel, dont la galanterie était connue et les amants innombrables. Seulement, Mme Cornuel se révélait une inconditionnelle de Mgr Mazarin, et Gondi haïssait le cardinal. Les deux galants avaient donc du mal à accorder leurs ardeurs.
D'ailleurs, dès qu'elle vit Louis, Mme Cornuel abandonna le coadjuteur pour se précipiter à sa rencontre, jetant en même temps de rapides regards pour savoir si Julie de Vivonne était là. La quarantaine dépassée, Anne Cornuel était encore fort charmante avec un visage aux traits fins et piquants, bien que trop chargé de céruse. Un petit nez pointu en trompette, un menton assorti aux lèvres fines et nerveuses, des yeux en amande et des cheveux frisés dans une coiffure à bouffon, lui donnaient perpétuellement une expression insolente et enjouée.
Louis et elle échangèrent quelques courtoises banalités avant d'être rejoints par Mme de Combalet, portant un lourd vertugadin à l'ancienne en taffetas feuille morte avec corsage de dentelle recouvert de perles. Fronsac profita de l'arrivée de la nièce de Richelieu pour s'éclipser vers l'alcôve où se trouvait toujours son ami Vincent Voiture.
*
Le poète était encore avec Angélique-Clarisse d'Angennes qui ressemblait étrangement à sa sœur Julie.
— Louis ! s'exclama Voiture en l'apercevant. Tu t'es rendu à l'oratoire voir Mme la marquise ? As-tu laissé Julie là-bas ?
— Oui, elle est restée avec le marmouset de la princesse Julie.
— Charles-Hector ? Tu sais que j'ai failli me fâcher avec sa mère à cause de lui ?
Louis sourit en le laissant poursuivre.
— Après la naissance, Mgr le prince de Condé a envoyé un petit compliment à Mme de Montausier qui m'a demandé d'y répondre en vers, comme si je n'étais qu'un valet !
— Ma mère vous a finalement convaincu, intervint espièglement Angélique-Clarisse.
— C'est vrai, je confesse avoir un furieux tendre pour Mme la marquise, répliqua précieusement le poète. J'ai donc couché quelques rimes…
— Donnez-les-nous, mon ami ! supplia Angélique avec un sourire enjôleur, en lui prenant la main.
Voiture soupira avant de commencer :
— C'est un fort dépiteux marmot :
Tout du long de la nuit il crie,
Et tout le jour est en furie,
Fier, opiniâtre et mutin,
Aussi farouche qu'un lutin.
S'il se fâche, ou qu'il ne s'apaise ;
On lui déplaît quand on le baise,
Il pince, il égratigne, il mord,
Il gronde, même quand il dort !
À la déclamation du poète, accompagnée de mimiques réjouissantes, plusieurs invités s'étaient approchés et riaient à ses paroles tant elles sonnaient vrai pour ceux qui avaient déjà vu le jeune marquis de Pisany.
Fier de son succès, Voiture entama un autre poème et Louis rejoignit Gédéon Tallemant qui se tenait seul à quelques pas, son épouse Élisabeth l'ayant abandonné pour se rapprocher des badauds qui applaudissaient Voiture.
45 Il s'agit de la mère du prince de Condé.
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— J e croyais Vincent en ménage avec la fille de M. Renaudot, plaisanta Louis, et je le découvre en train de pousser
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