Le Secret de l'enclos du Temple
temps à implorer Dieu et la Vierge avec des prières composées par elle-même. Pourtant, mettant un instant de côté sa dévotion, elle lui sourit en tendant affectueusement les mains.
La porte du fond de l'oratoire, qui communiquait avec un escalier de service, s'ouvrit à ce moment-là. Julie d'Angennes, désormais marquise de Montausier, entra, suivie d'une nourrice portant un nourrisson qui braillait à plein poumons. C'était le petit marquis de Pisany à peine âgé de huit jours.
Chacun fit semblant de s'extasier devant le marmot hurleur, sauf sa mère qui paraissait exaspérée par ses cris. Il est vrai que Julie d'Angennes n'avait jamais supporté personne, et qu'aucun enfant ne trouvait grâce à ses yeux.
— Louis, intervint Mme de Rambouillet durant le bref instant de silence où l'enfantelet reprenait son souffle, Mme de Sévigné m'a demandé si vous étiez déjà là. Je crois qu'elle souhaite vous rencontrer.
Intrigué, Louis demanda son congé, tandis que son épouse restait dans l'oratoire à supporter le nourrisson rugissant.
*
De retour dans la chambre bleue, Fronsac chercha des yeux celle que tout le monde considérait comme une des plus aimables et des plus honnêtes femmes de Paris : Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné depuis quatre ans. Il l'aperçut en compagnie de son mari dont M. des Réaux prétendait, par euphémisme, qu'il n'était point un honnête homme. Le couple se trouvait avec le duc et la duchesse de Châtillon qui avait une certaine ressemblance avec Armande, l'épouse de Gaston de Tilly.
Il aurait été difficile de dire qui d'Isabelle-Angélique de Montmorency, duchesse de Châtillon, et de Marie de Rabutin, marquise de Sévigné, paraissait la plus charmante. Certes, Marie était beaucoup plus jeune, mais elles avaient toutes deux des visages éclairés par des yeux profonds et magnifiques. Leur corpulence, leur beau profil, leur port noble et leur gorge bien taillée accentuaient leur séduction. Leur tempérament enjoué et charmeur les rapprochait aussi, et leur différence apparente ne tenait qu'à leur chevelure, Marie étant blonde quand Isabelle-Angélique était brune.
Le caractère les opposait plus sûrement. Celle qu'à seize ans on appelait déjà la Belle Bouteville s'avérait une ambitieuse, hardie jusqu'à la galanterie et prête à tout hasarder pour satisfaire la violence de ses passions. Elle était exactement l'inverse de Marie de Rabutin, sage, pieuse et peut-être trop raisonneuse.
Quant à leurs époux, Gaspard de Coligny, duc de Châtillon, et Henri de Sévigné, ils avaient tous deux une expression de vain prétentieux. Mais si l'époux de Marie de Rabutin se révélait vraiment fat, ce n'était pas le cas du duc, bien au contraire. Dernier rejeton de l'illustre branche des Coligny depuis la mort de son frère Maurice, tué en duel sur la place Royale par le duc de Guise, Gaspard était réputé pour sa bravoure sur les champs de bataille. Amoureux d'Isabelle-Angélique, il l'avait enlevée deux ans plus tôt et était parvenu à obtenir la grâce de la reine et de Mazarin pour ce rapt, bien qu'il y ait eu mort d'homme.
Marie de Rabutin-Chantal fit un signe enjoué à Louis sitôt qu'elle l'aperçut et le présenta à son époux qui le morgua dans un mélange d'arrogance et d'indifférence. En revanche, le duc de Châtillon, qui avait rencontré Fronsac sur le champ de bataille de Rocroy, le salua avec autant de respect que d'affection.
— Madame, ma tante m'a dit que vous me cherchiez, dit Louis à la marquise de Sévigné.
— En effet, monsieur, en vérité je voulais vous présenter mon cousin, le comte de Bussy, qui souhaite beaucoup vous connaître, mais il n'est pas encore arrivé. Pourriez-vous lui consacrer quelques instants ?
— Je le ferai avec plaisir, madame. Je vais saluer M. le coadjuteur, que je vois là-bas, et je reste votre obligé.
Il sentit alors qu'on l'observait et tourna la tête, croisant le regard d'Angélique de Montmorency, la lèvre supérieure légèrement relevée dans un sourire interrogateur. Il l'ignorait, mais le prince de Condé, amant d'Angélique, avait souvent fait part à sa maîtresse de l'admiration qu'il avait pour Fronsac et elle cherchait à comprendre quelles en étaient les raisons.
Légèrement troublé, Louis la salua, puis s'inclina devant les deux hommes avant de poursuivre son chemin vers Paul de Gondi, son ancien condisciple au collège de Clermont.
En même
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