Le Secret de l'enclos du Temple

M. de La Rivière étant au palais, il est possible qu'il vous demande de revenir plus tard, s'il reçoit du monde.
    Gaston se leva.
    — Encore une chose, monsieur le surintendant, M. Boutier et moi-même aurons besoin d'un de ces laissez-passer que m'a montré M. Biville, ainsi que d'une lettre de M. le chancelier nous autorisant à circuler partout et à interroger librement qui nous voulons.
    Le surintendant fronça à nouveau le front. Une telle demande ne lui plaisait guère, surtout venant d'un homme ne l'ayant pas une seule fois appelé monsieur le comte. Mais il se dit que ce procureur se plaindrait au prévôt de l'Hôtel du roi s'il ne s'exécutait pas. Il n'avait donc pas le choix.
    — M. Biville vous remettra des laissez-passer. Pour la lettre, je vais en parler à M. de Choisy. Vous n'aurez qu'à venir la prendre demain, cela vous convient-il ?
    — Cela ira, se força à sourire Gaston, en songeant que ce surintendant ne lui avait décidément pas appris grand-chose.
    50 Lieu d'aisance.
    51 Cette histoire est absolument authentique !
    52 Le florin d'or, utilisé dans certaines provinces, valait approximativement une livre.
    53 Le palais du Luxembourg.

16
    A ccompagnés de Biville, ils empruntèrent d'autres corridors et traversèrent d'autres salles pour se rendre à l'autre bout du palais, face au jardin. C'est là que l'abbé de La Rivière avait ses appartements : une chambre, un cabinet, et une antichambre, expliqua l'officier.
    En chemin, Gaston demanda à voir le privé où les morceaux du corps avaient été cachés ; une petite pièce située au bout du corridor qu'ils arpentaient, avec un siège de pierre. L'endroit puait. Gaston regarda dans le large tuyau d'évacuation. Une tête pouvait facilement passer, mais l'assassin, ou les assassins, avaient dû découper le tronc. C'était vraiment un travail de boucher… ou de bourreau.
    — Le conduit d'évacuation va vers une fosse dans le jardin, que l'on vide chaque semaine, indiqua le garde.
    La taille de la pièce était suffisante pour que le découpage ait pu être effectué sur place, remarqua Gaston. Examinant le sol carrelé en faïence, il découvrit d'ailleurs plusieurs traces foncées. Mais ce pouvait être aussi bien des excréments.
    Boutier était resté à l'extérieur, ce genre de recherche lui répugnant, contrairement à Gaston prêt à tout supporter quand il était sur une piste.
    — Allons chez M. de La Rivière, proposa-t-il lorsqu'il eut terminé ses examens. Au fait, y a-t-il d'autres privés ?
    — Les appartements de la duchesse sont situés au-dessous et sa chambre se trouve à l'angle du jardin, expliqua Biville. Son privé est juste sous celui-ci et partage la même fosse.
    Ils revinrent dans le corridor et l'officier s'arrêta devant une porte à laquelle il gratta. Un valet ouvrit.
    *
    L'officier expliqua que les personnes qui l'accompagnaient étaient procureurs du roi à la prévôté de l'Hôtel et souhaitaient rencontrer M. l'abbé de La Rivière.
    — M. l'abbé est avec M. le chancelier et son secrétaire des commandements. Je vais le prévenir. Pouvez-vous patienter un instant ?
    Il les fit tous trois passer dans un minuscule cabinet muni d'une seule banquette ; ils n'eurent cependant pas à attendre, car le valet revint presque aussitôt pour les faire entrer dans une grande chambre d'apparat.
    Gaston balaya la salle des yeux : dressé sur une estrade à trois marches, un lit à hauts piliers et aux rideaux damassés en occupait l'extrémité. Au-devant, près d'une table couverte d'un épais tapis à franges dorées, se tenaient trois hommes qui, à leur entrée, interrompirent leur conversation. Ils avaient la cinquantaine dépassée et deux d'entre eux devaient être gentilshommes puisqu'ils portaient épée. Le plus grand attira immédiatement le regard de Gaston par son physique de lutteur et son visage sanguin, massif, brutal, encadré d'une lourde et épaisse chevelure. À côté de lui, le second gentilhomme paraissait frêle. Il avait une curieuse expression distante, moqueuse même. Son front était largement dégarni, et ce qui lui restait de cheveux gris et bouclé dans le cou.
    Mais c'est finalement vers le troisième personnage que se fixa l'attention de M. de Tilly. Celui-là était en soutane de soie noire avec un col carré blanc brodé. Il ne pouvait s'agir que de l'abbé de La Rivière.
    Louis Barbier de La Rivière, depuis quelques mois seigneur de