Le Secret de l'enclos du Temple

faiblesse ou par lâcheté, a toujours compromis ses amis, et parfois même les a livrés au bourreau. La seule personne qu'il n'a jamais trahie est sa belle-sœur. La première fois où j'ai entendu parler des trahisons de Monsieur, j'avais treize ans. Avec Louis, nous étions pensionnaires au collège de Clermont 95 . On disait que les amis de Gaston d'Orléans, Chalais et Ornano, l'avaient incité à sortir de France, car il ne voulait pas se marier avec Mlle de Montpensier. Ils l'auraient poussé à se mettre au service de l'Espagne. Chalais et Ornano ont été arrêtés. Interrogé par Mgr Richelieu, Gaston d'Orléans aurait déclaré au cardinal : Le maréchal d'Ornano est un fourbe et un méchant  ! Ornano est mort dans le donjon de Vincennes, et Chalais, bien qu'innocent, a été décapité.
    « Un peu plus tard, Monsieur s'était entiché d'épouser Marie de Gonzague. Pour empêcher le mariage, le Cardinal avait fait enfermer la fille du duc de Nevers à Vincennes, en hiver, sans feu ni meuble, et c'est la reine, Anne d'Autriche, qui a supplié son mari de la faire libérer. Gaston avait déjà oublié sa promise. Après ça, Marie de Gonzague l'a publiquement accusé de lâcheté et de trahison.
    Armande ne broncha pas, déjà ébranlée et convaincue par ce que lui révélait son mari. Comme tout le monde, elle avait eu vent parler de la pusillanimité du prince. Vingt-cinq ans plus tôt, Gaston d'Orléans avait appuyé la rébellion d'Henri de Montmorency lorsque le gouverneur du Languedoc s'était opposé au roi, mais Monsieur avait abandonné son complice quand celui-ci avait été écrasé à Castelnaudary. Le duc d'Orléans avait alors demandé pardon à son frère le roi, livré ses complices, et le frère de la princesse douairière de Condé avait eu la tête coupée à cause de lui.
    Cinq ans plus tard, Monsieur avait soutenu un autre complot, celui du comte de Soissons contre le cardinal de Richelieu cette fois. Il avait recommencé, en 1642, lorsque, réfugiés à Sedan, le duc de Bouillon et le prince de Soissons avaient levé une armée pour renverser le roi. Soissons, prince de sang Bourbon, devait devenir chef d'un gouvernement dont le duc d'Orléans aurait assuré la régence, le roi étant évidemment déchu. Mais une fois de plus, par prudence ou couardise, le frère félon n'avait pas rejoint ses amis. Il avait eu raison, car même si l'armée de Soissons avait écrasé l'armée royale à La Marfée, le rebelle y avait trouvé la mort par accident et la manœuvre avait tourné court. Il faut dire que Monsieur s'était, entre-temps, déjà impliqué dans un nouveau complot. Celui de M. le Grand 96 .
    — Peut-être ces rumeurs ne sont-elles que des médisances ? proposa timidement Armande.
    — Malheureusement non, car en ce qui concerne le complot de M. le Grand, Louis et moi y avons été étroitement mêlés. M. de Cinq-Mars, le grand écuyer, voulait la place du cardinal, et pour y parvenir, avait signé un traité avec l'Espagne qui devait lui procurer quatre cent mille écus afin qu'il dépose le roi. Gaston d'Orléans serait devenu régent et avait même envisagé d'épouser notre reine.
    « Par hasard, Louis a eu en main des lettres de Marie de Gonzague, la maîtresse de M. de Cinq-Mars, permettant au cardinal Mazarin de contraindre la reine à dénoncer les comploteurs. Quand le roi a finalement eu connaissance de tous les faits, sauf de la participation de son épouse à cette félonie, car Mazarin la lui avait cachée, il a su que son frère l'avait une nouvelle fois trahi. Monsieur s'est alors sincèrement repenti en racontant tout, regrettant même l'effusion de sang qu'avait été l'exécution de Cinq-Mars et de Thou ! Quant à la reine, elle y a gagné le trône.
    « C'est pour cette dernière lâcheté que beaucoup de ses amis l'ont quitté. Le marquis de Fontrailles, en particulier, qui avait longtemps été l'affidé de Soissons, avant d'être celui de Monsieur, puis celui de M. le Grand.
    — Je comprends ton dilemme, Gaston, mais il me semble que la décision que tu dois prendre est plus facile que tu ne le penses. Ton père était prévôt des maréchaux. Souhaitait-il un autre état pour lui-même et sa famille ?
    — Je ne l'ai guère connu, mais je ne pense pas. Il aimait trop ce qu'il faisait.
    — Alors pourquoi envisages-tu d'entrer au service d'un homme qui ne te mérite pas ?
    Cette fois, ce fut Gaston qui ne répondit pas d'emblée.