Le secret d'Eleusis
terre le long du sentier.
— Argo ! cria-t-elle. Reviens !
Mais il n’en fit qu’à sa tête et se précipita vers Mikhaïl. Un coup de feu ! Le cœur de Gaëlle se serra. Elle entendit Argo s’effondrer et pousser des cris plaintifs. Deuxième coup de feu. Puis plus rien.
La haine, le chagrin, la colère et la terreur s’emparèrent de Gaëlle. Mikhaïl fouilla les buissons pour la retrouver. Elle avança à quatre pattes au milieu des scarabées, des lézards et des papillons, dans les taches de lumière qui s’immisçaient entre les branches. Un oiseau fit bruisser ses ailes dans son nid juste devant elle et la fit sursauter. Sortant malgré elle la tête des ajoncs, elle replongea aussitôt dans les buissons, avant que Mikhaïl n’ait eu le temps de tirer.
Jouant de malchance, elle émergea dans une petite clairière et en fit le tour en cherchant en vain un moyen d’en sortir. Elle était contre l’escarpement mais, à cet endroit, celui-ci était moins abrupt. Elle se redressa et tenta de l’escalader, tête baissée, dans l’espoir de distancer Mikhaïl. Mais le sol était couvert de schiste. Elle glissa et retomba presque aussitôt dans le labyrinthe d’ajoncs. Curieusement, plusieurs branches d’ajoncs l’accompagnèrent dans sa chute et elle constata qu’elles avaient été sciées à la base et amassées contre la falaise, comme pour cacher quelque chose.
Mikhaïl se rapprochait dangereusement. Elle retira d’autres branchages et découvrit des symboles gravés sur la paroi rocheuse : un triangle et une sorte de ruban ondulé. Tout à coup, elle repéra l’entrée minuscule d’une grotte. Elle rampa à l’intérieur, le visage et les cheveux couverts de terre, puis l’espace s’agrandit. Il faisait trop sombre pour qu’elle voie où elle se trouvait, mais l’écho de sa respiration haletante lui donna l’impression d’être dans un vaste complexe caverneux. Elle s’éloigna de l’entrée, d’où provenait une faible lumière qui lui permit de discerner un pic et une masse contre le mur. La masse étant trop lourde pour elle, elle s’empara du pic. L’idée de l’abattre sur un être vivant lui donna la nausée, mais elle pensa à ce qui était arrivé à Iain et Argo et se prépara à frapper. Elle entendit Mikhaïl s’approcher et se tapit dans l’ombre. La lumière déclina brusquement : il avait trouvé l’entrée.
— Vous êtes là ? demanda-t-il. Vous m’attendez, n’est-ce pas ?
— Allez-vous-en ! s’écria Gaëlle.
— Je ne vous ferai pas de mal si vous sortez. Vous avez ma parole.
— J’ai dit : allez-vous-en !
La lumière disparut presque totalement. Mikhaïl s’était faufilé dans l’entrée étroite. Gaëlle leva le pic, prête à frapper de toutes ses forces. Qu’il ait entendu ou aperçu quelque chose, Mikhaïl dut prendre conscience de sa vulnérabilité d’une façon ou d’une autre, car il s’arrêta et recula. Un flot de lumière inonda de nouveau l’entrée. Gaëlle reposa le pic sur le sol sans cesser de serrer fermement le manche, certaine que son agresseur ne tarderait pas à faire une nouvelle tentative.
Chapitre 42
I
Nico serra le téléphone dans ses mains pendant près d’une minute, comme s’il s’agissait d’un talisman ayant le pouvoir de répondre aux prières. Et peut-être n’avait-il pas tort.
La vie d’un homme était tracée dès l’enfance, il en était persuadé. Ce n’était pas sans raison qu’on appelait ces années-là les « années de formation ». La première saveur nouvelle, le premier amour, les premiers applaudissements étaient des moments magiques, autour desquels on construisait toute sa vie dans l’espoir de les revivre.
Pour Nico, le moment déterminant avait eu lieu pendant des vacances en famille au Péloponnèse. Son frère, l’intello de la fratrie, avait insisté pour aller visiter Mycènes, Epidaure, Corinthe et autres sites anciens. Nico s’était tellement ennuyé que cela avait été une véritable torture pour lui. Ensuite, sa famille et lui s’étaient rendus à Olympie, berceau des jeux Olympiques. C’était bien avant le boom touristique, bien sûr, et il n’y avait personne d’autre qu’eux. Encore des ruines ! Qu’est-ce que les gens pouvaient bien leur trouver ? Nico avait traîné derrière les autres. Il était arrivé au pied d’un talus percé d’une galerie de pierre, qu’il avait traversée sans conviction. Mais lorsqu’il avait
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