Le secret d'Eleusis
émergé dans le stade antique, il avait été totalement ébloui. Il se souvenait encore de ce moment, de l’éclat du soleil levant, des talus couverts d’herbe où se tenait la foule, de l’arène encore imprégnée d’une tradition de fête, de compétition, d’accomplissement de soi, de grandeur même. Jusqu’à cet instant, il n’avait jamais compris ce qu’était l’atmosphère d’un lieu. Il ne croyait pas aux fantômes. Mais tout cela avait changé en un clin d’œil. Son rêve de devenir un athlète olympique était né à ce moment-là. Et lorsque ce rêve était devenu inaccessible, il s’était tourné vers l’archéologie, car c’était aussi ce jour-là qu’il était tombé amoureux de la Grèce antique.
Cet amour, il le devait à ses parents.
La sonnerie, lorsqu’elle retentit enfin, sembla plus longue que d’habitude, comme si le temps se distendait. Nico faillit raccrocher au bout de la cinquième, mais son interlocuteur décrocha. Il était trop tard.
— Allô ?
— Bonjour, papa, dit Nico, la bouche sèche et pâteuse. C’est moi.
Un silence incrédule s’installa.
— Nico ?
— Oui.
Le silence s’imposa de nouveau. Trop d’années avaient passé. C’était une erreur.
— Je suis désolé, lâcha Nico, je n’aurais pas dû...
— Non ! s’écria son père. Ne raccroche pas, s’il te plaît. Je t’en prie.
— J’avais envie de te parler, de te voir, pour le déjeuner par exemple.
— Bien sûr. Ta mère et moi... enfin, des amis viennent manger à la maison. Les Milonas. Tu t’en souviens ?
— Oui.
— Nous allons repousser. Ils comprendront.
— Pas pour moi, mais je pourrais peut-être me joindre à vous. Ça me ferait plaisir de les revoir. Ça fait un bail...
— Bien sûr, aucun problème. Je vais tout de suite prévenir ta mère pour qu’elle prévoie assez pour tout le monde. Eh, Nico...
— Oui ?
Nico attendit, mais son père ne termina pas sa phrase. Il mit plusieurs secondes à se rendre compte qu’il ne pouvait pas parler sans se trahir. C’était étrange et inattendu pour lui de l’entendre pleurer, lui qui avait toujours incarné la force.
— Ce n’est rien, murmura-t-il.
— Non, ce n’est pas rien, sanglota son père. Ce n’est pas rien. Pardonne-moi, Nico. Il faut que tu me pardonnes.
— Je te pardonne, papa. On se voit pour le déjeuner. Dis à maman de faire ses spanakopitas . Tu n’imagines pas à quel point ils m’ont manqué.
Nico raccrocha et regarda ses mains avec étonnement. Elles tremblaient. Puis quelque chose tomba dans une de ses paumes et il constata qu’il pleurait aussi.
II
Gaëlle attendait toujours Mikhaïl dans la grotte, mais plusieurs minutes s’écoulèrent sans qu’il réapparaisse et la tension nerveuse finit par décroître. Elle avait mal aux bras et aux épaules à force de serrer le manche du pic. Lorsqu’elle voulut le lâcher, elle s’aperçut qu’elle avait les doigts collés au bois par une couche épaisse de sang coagulé. Elle retira ses mains l’une après l’autre en rouvrant ses plaies, douloureuses comme un coup de fouet.
Elle risqua un coup d’œil vers l’entrée. Des grains de poussière et des moucherons dansaient dans la lumière, mais Mikhaïl n’était plus là. Peut-être était-il parti, conscient de ne pouvoir atteindre sa proie. Des secours étaient peut-être arrivés, à moins qu’il n’ait simplement décidé d’attendre de voir ce quelle allait faire. Elle s’était habituée à l’obscurité. Désormais, elle voyait des choses quelle ne parvenait pas à discerner auparavant : un groupe électrogène avec un réservoir en plastique blanc nacré, un câble électrique orange qui serpentait sur le sol, une caisse en bois. Elle se retourna de nouveau pour s’assurer que Mikhaïl n’était pas revenu et fouilla la caisse dans l’espoir d’y trouver quelque chose d’utile. Elle trouva de vieilles bouteilles d’eau recyclées, qui laissèrent sur ses mains une odeur caractéristique de carburant. Il y avait aussi une lampe torche, alourdie par plusieurs piles. Elle l’alluma et dénicha une autre réplique du disque de Phaistos, qui lui rappela le triangle et la ligne ondulée gravés à côté de l’entrée de la grotte. Ces deux symboles se trouvaient au centre d’une des spirales, ce qui laissait supposer que le disque était une sorte de carte, dont une face conduisait à cet endroit. Gaëlle observa la spirale de
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