Le secret d'Eleusis
discerna le ciel nocturne.
Sur sa gauche, il repéra une cuisine blanc et chrome ; sur sa droite, une table et des chaises en acajou ; et juste devant lui, des sofas et des fauteuils en cuir noir disposés en demi-cercle en face d’un immense écran plasma, allumé sans le son sur une chaîne d’information continue. Deux escaliers en marbre montaient de part et d’autre de l’atrium jusqu’à l’étage, dont les nombreuses portes ouvraient sans doute sur des chambres et des salles de bains.
— Il y a quelqu’un ? cria Édouard .
Mais personne ne devait l’entendre avec la musique. Il se dirigea vers la chaîne. Sur une table basse en verre, il découvrit les reliefs d’une fête improvisée : deux bouteilles de Champagne vides, quelques cartons à pâtisserie, un cendrier débordant de mégots et une boîte en émail remplie de poudre blanche, qu’il ferma aussitôt pour faire comme s’il n’avait rien vu. Une jupe, un chemisier blanc déchiré, une culotte blanche et un soutien-gorge de sport bleu étaient éparpillés sur le sol. Édouard trouva plusieurs télécommandes ; il appuya sur tous les boutons de coupure du son jusqu’à ce que la maison soit plongée dans le silence.
— Il y a quelqu’un ? cria-t-il de nouveau.
Une porte s’ouvrit et un homme apparut à l’étage, torse nu, une serviette safran nouée autour de la taille. Il était sec et musclé comme un boxeur de poids moyen et arborait un grossier tatouage de prison sur le biceps droit. C’était un Nergadze. Cela ne faisait aucun doute, car non seulement il avait le nez camus, le front haut et cet air fanfaron typique de sa famille, mais il braquait sur Édouard un fusil à canon scié avec un sang-froid déconcertant.
II
Qu’est-ce que vous racontez ? s’indigna Knox. Augustin n’a pas tué Petitier, c’est impossible !
— Je n’ai jamais dit ça, déclara Nico. Tout ce que je dis, c’est que la police pourrait lui trouver un mobile.
Coincé entre la portière et le frein à main, il se tourna autant que sa corpulence le lui permettait dans son siège.
— Savez-vous pourquoi j’ai proposé à Petitier d’intervenir au congrès ? demanda-t-il à Knox.
— Non, répondit celui-ci.
— J’étais moi-même inscrit sur la liste des intervenants, mais je lui ai cédé ma place. Je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur, croyez-moi. J’adore me livrer à ce genre d’exercice.
Nico eut un petit gloussement d’autodérision.
— Pour être honnête, avoua-t-il, si j’organise ce congrès, c’est en partie parce que personne ne m’invite jamais. Mais j’avais une bonne raison de m’éclipser, cette fois. Petitier m’a envoyé il y a environ six semaines un courrier électronique, dans lequel il exigeait de participer au congrès. Il s’est montré très arrogant, très caustique. Je me souvenais à peine de lui, mais il avait été assez proche d’un de mes collègues de l’université.
— Et alors ? s’impatienta Knox.
— Après l’avoir remercié de l’intérêt qu’il portait au congrès, je lui ai indiqué que tous les créneaux horaires étaient déjà occupés, ce qui était vrai, bien sûr. Le programme est fixé des mois à l’avance. En revanche, je l’ai invité à participer à une de nos tables rondes. Il m’a répondu que cela ne lui suffisait pas, qu’il avait quelque chose d’extraordinaire à annoncer au monde et que cela en valait la peine. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait, mais il a refusé de m’en dire plus. J’ai pensé que je n’entendrais plus parler de lui. Il y a toujours des excentriques qui traînent dans les congrès en prétendant qu’ils ont déchiffré toutes les énigmes de l’Antiquité. Mais j’ai reçu un colis à mon bureau. Il contenait dix fragments de sceaux de pierre en linéaire A et linéaire B enveloppés dans du coton, avec une note de Petitier. Comme je ne suis pas spécialiste en la matière, j’ai pris des photos et je les ai envoyées à des collègues. Si ces fragments avaient été répertoriés, quelqu’un les aurait forcément reconnus. Or, personne ne les avait jamais vus. Il m’a donc semblé évident que Petitier avait trouvé de nouveaux sceaux de pierre, voire un nouveau site archéologique.
— Admettons, mais cela ne mérite pas une tribune à un congrès comme celui-là.
— Non, mais il y avait autre chose. Je ne l’avais pas remarqué au premier abord, car je ne suis pas non plus un
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