Le secret d'Eleusis
venait d’être installée devant les marches menant au donjon. Kiko entendit les portières s’ouvrir et se refermer, puis les bavardages enjoués des invités, qui entrèrent sans plus attendre.
— Qu’est-ce que tu regardes ? lui demanda sa mère en posant les mains sur ses épaules, avant de l’embrasser dans ses cheveux.
— Des gens, répondit-il. Il y en a plein.
— En effet, ils sont nombreux.
— À ton avis, à quoi elle sert, cette toile ?
— Je suppose que c’est pour protéger tous ces invités de la pluie.
— Mais il ne pleut même pas !
— Oui, mais ils ne pouvaient pas le savoir quand ils l’ont installée.
— Je crois plutôt que c’est pour empêcher les caméras qu’il y a dans le ciel de voir les visages des gens, déclara Kiko, qui avait un faible pour les films d’espionnage.
Nina lui ébouriffa les cheveux d’un geste affectueux.
— Toi alors, tu en as de l’imagination ! s’écria-t-elle en tirant les rideaux tout en l’éloignant de la fenêtre.
— Ça, oui ! lança-t-il fièrement.
Chapitre 6
I
Édouard saisit l’adresse de Mikhaïl Nergadze sur le navigateur GPS de la Mercedes. Un plaisantin avait téléchargé un logiciel qui donnait des instructions à double sens, susurrées par une femme au timbre rauque.
— Dans environ quatre-vingts mètres, huuun, tournez viiite à gauche, implora la femme.
Elle rappela à Édouard l’unique fois où il avait failli sombrer dans l’infidélité. C’était à Kiev. Un soir où il s’ennuyait, il était allé dans un bar et s’était laissé aborder par une escort-girl au maquillage outrancier, entièrement vêtue de cuir. Il n’avait pas pu s’en débarrasser avant d’avoir dépensé une fortune en Champagne.
— Tournez à droite, ça vient... oui ! oui ! oui ! maintenant !
Édouard baissa le son le plus possible et s’abîma dans de sombres pensées. Comment allait-il pouvoir venir en aide à Nina et aux enfants ? Devait-il prendre contact avec Tamaz ? Ils n’avaient jamais été très proches, mais c’était son frère, après tout. Tamaz l’avait invité à boire un verre quelques semaines auparavant. Il lui avait présenté un certain Viktor et les avait laissés seuls tous les deux. Viktor avait été très direct : il voulait Ilya Nergadze, à n’importe quel prix. Édouard, qui croyait encore à ce moment-là que les Nergadze étaient victimes de la propagande du gouvernement, comme ils le prétendaient, était parti dans un mouvement de colère et n’avait pas revu Tamaz depuis, mais peut-être que...
— Tournez à gauche, huuun, oui !
Non, c’était de la folie. Viktor devait être une taupe, qui ne cherchait qu’à tester sa loyauté envers les Nergadze. Édouard alluma la radio et essaya plusieurs stations jusqu’à ce qu’il tombe sur une musique apaisante. Il conduisit pendant quarante minutes en contournant Athènes par l’est jusqu’aux contreforts du nord. Au bout d’un moment, la route devint plus étroite et la circulation, moins dense. À travers les portails, il aperçut de magnifiques villas. Puis il arriva devant un haut mur de pierre, derrière lequel des pins étaient alignés comme autant de soldats sur un rempart. L’allée était flanquée de panneaux « Propriété privée », mais les grilles étaient ouvertes et le navigateur GPS lui indiquait qu’il était arrivé à bon port. Il gravit donc l’allée de graviers, jusqu’à une résidence aux murs blanchis à la chaux, éclairée par des spots discrets. Devant l’entrée, était garée une Ferrari couleur or, dont la portière de droite était restée ouverte, comme si le passager s’était précipité à l’intérieur.
Édouard se gara juste derrière et resta assis un instant, dans l’espoir de voir arriver Boris et ses hommes. Il n’avait pas envie d’entrer seul. Mais les minutes passèrent et personne ne le rejoignit. Il descendit de voiture et se dirigea vers la porte d’entrée, légèrement entrouverte. Là, il entendit une chanson d’amour de Nino Chkheidze et en déduisit qu’il se trouvait bien chez un Géorgien. Il frappa deux fois, sans réponse. La chanson se termina dans un crescendo classique. Il s’empressa de frapper de nouveau avant que la chanson suivante ne commence. Toujours rien. Il entra doucement à l’intérieur et se retrouva au milieu d’un vaste atrium de deux étages, surmonté d’un superbe dôme en verre, à travers lequel il
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