Le secret d'Eleusis
vouloir tuer Petitier. Les meurtriers ne sont-ils pas censés avoir un mobile ?
C’était une question rhétorique, qui n’attendait pas de réponse. Et pourtant, Nico se retourna sur son siège, avec un air navré.
— En fait, dit-il, j’ai bien peur que votre ami n’ait effectivement eu un mobile...
III
Château de Nikortsminda, Géorgie
Kiko Zdanevich n’avait jamais rien vu de tel, pas en dehors des manuels d’histoire ou des voyages scolaires, en tout cas. Dans le clair de lune, se dressait une forteresse couverte de lierre, avec de hauts remparts pour les archers et d’imposantes tourelles pointues, depuis lesquelles les braves chevaliers errants comme lui pouvaient venir au secours des belles princesses injustement emprisonnées. Bâtie sur une petite île, près d’un lac noir comme de l’encre, elle se trouvait au beau milieu d’une forêt ancienne, entourée de montagnes aux cimes enneigées. Le nez contre la vitre, Kiko suivit des yeux le chemin de terre qui serpentait jusqu’à l’île. Il regarda bouche bée le pont-levis s’abaisser et les grandes portes en bois s’ouvrir en crissant.
— C’est vraiment là que nous allons, maman ? demanda-t-il.
— Je suppose, répondit sa mère sèchement, comme contrariée par son enthousiasme.
Elle était d’humeur étrange depuis qu’Alexei Nergadze et les hommes en costume noir étaient venus leur dire de la part de son père qu’ils allaient passer le week-end chez les Nergadze.
Ils franchirent les portes et entrèrent dans une vaste cour intérieure. Les pelouses éclairées par des spots, l’escalier en pierre, la chapelle surmontée d’une longue flèche et les vastes écuries peintes en blanc ne parvinrent pas à éclipser le donjon central devant lequel ils s’étaient arrêtés.
Alexei Nergadze les invita à entrer dans le château, tandis que des domestiques en livrée s’empressaient de venir chercher leurs bagages. Ils enfilèrent une longue galerie obscure, ornée de portraits à l’expression sévère, et aboutirent au pied d’un raide escalier en colimaçon. Kiko s’imaginait déjà en train de dormir dans une des pièces de la tourelle, mais ils prirent un autre corridor et arrivèrent dans une chambre assez miteuse abritant deux petits lits affaissés.
— Les filles dormiront ici, indiqua Alexei en faisant signe aux jumelles de s’installer pendant qu’un des domestiques apportait leurs bagages.
— Et Kiko et moi ? demanda Nina.
— Vous êtes un peu plus loin.
— Nous voulons rester ensemble.
— La maison est pleine à craquer, ce week-end. Nous ne pouvons pas faire mieux.
— Alors nous nous installerons tous ici, merci.
— Pas question ! Mon grand-père ne me pardonnerait jamais de ne pas vous avoir logés au mieux.
— Mais je vous assure que...
— Venez avec moi.
Kiko et sa mère suivirent Alexei et le second domestique jusqu’à un autre escalier.
— Je n’aime pas ça, maman, chuchota Kiko. Je veux rentrer à la maison.
Nina lui posa la main sur l’épaule.
— Ça va aller, mon chéri, le rassura-t-elle, ne t’inquiète pas.
Alexei leur montra la chambre de Kiko. Elle était beaucoup plus belle que celle des jumelles. Il y avait une cheminée, des bureaux avec des chaises, des tapisseries sur les murs, d’immenses rideaux crème qui s’ouvraient et se fermaient avec un cordon, et un lit à baldaquin orné de soie rose à motifs floraux. Kiko lança un regard implorant à sa mère lorsque Alexei la conduisit jusqu’à sa propre chambre. Avant de s’en aller, elle lui fit un clin d’œil à peine perceptible pour lui demander de jouer le jeu pour l’instant et lui promettre que tout irait bien.
Dix minutes s’écoulèrent avant qu’il n’entende des pas dans le couloir et ne la voie revenir avec ses bagages.
— Tu viens dormir dans ma chambre ? demanda-t-il, plein d’espoir.
— Le lit est assez grand, non ? s’exclama-t-elle en souriant.
— Il est assez grand pour un roi ! cria-t-il en se levant pour sauter à pieds joints sur le matelas.
— Du calme, chuchota-t-elle. Je ne voudrais pas qu’on casse quelque chose.
Kiko obéit et se dirigea vers la fenêtre à meneaux. Il replia les mains autour de ses yeux pour mieux voir. Trois limousines noires aux vitres teintées franchissaient le pont-levis. Leurs phares balayèrent la cour intérieure du château. Elles s’arrêtèrent les unes après les autres sous une marquise en toile, qui
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