Le secret d'Eleusis
l’efficacité de la police de la circulation.
— Alors on est foutus ! s’exclama Nico en essayant vainement de prendre la situation à la légère.
Il se tourna vers son compagnon.
— Vous connaissez le docteur Claude Franklin ? demanda-t-il. C’est un collègue de l’université.
— Je ne crois pas, répondit Knox.
Franklin avait de longs doigts fins à l’image de sa silhouette et Knox fut légèrement surpris de la fermeté de sa poignée de main.
— Je crois que je vous ai parlé de lui hier soir, poursuivit Nico. Il a fait la connaissance de Petitier lorsque celui-ci travaillait ici, au sein de la Mission archéologique française.
— Ah ! s’écria Knox avec un intérêt grandissant. Vous étiez amis ?
— Je n’irais pas jusque-là, déclara Franklin avec circonspection.
Il parlait lentement en articulant chaque syllabe, comme s’il avait l’habitude d’être mal compris en raison d’un accent américain encore très présent.
— Nous avons partagé une maison pendant un temps, confia-t-il, c’est tout.
— Excusez-moi, il faut que j’aille voir ce carambolage, annonça Nico, au cas où je devrais encore adapter le programme.
— Ça va aller, le rassura Knox. On a encore du temps devant nous.
— Un congrès sur Éleusis à Éleusis la semaine de Pâques ! s’exclama Nico en secouant la tête. Et moi qui croyais que c’était une bonne idée ! Où avais-je la tête ?
Il éclata de rire et donna un coup de pied dans une pierre, qui ricocha sur les pavés. Knox haussa les épaules d’un air compatissant et se tourna de nouveau vers Franklin.
— Alors, cette maison, est-ce vraiment tout ce que vous avez partagé avec Petitier ? demanda-t-il.
— Pas exactement, avoua Franklin dans un sourire. C’était un logement universitaire typique, grand et vieux, qui tombait quasiment en ruine.
Il continuait à articuler exagérément en regardant Knox à chaque fois qu’il parlait pour que celui-ci puisse voir sa bouche.
— Quatre chambres, décrivit-il. Deux par chambre, parfois trois, selon qui couchait avec qui. Tout le monde était bienvenu, les Grecs comme les étrangers, du moment qu’ils payaient le loyer et appréciaient les conversations intelligentes en fin de soirée. C’était le bon temps. C’est là que j’ai rédigé ma thèse. Sur l’invasion dorienne, s’il vous plaît !
— L’invasion dorienne ? répéta Knox poliment.
Ils pénétrèrent dans le site et traversèrent une autre cour pavée pour emprunter une voie ancienne couverte de dalles grises et usées, qui menait à la colline sacrée. Dans le calme du matin, il était difficile d’imaginer l’agitation euphorique qui régnait ici lors des fêtes anciennes, quand toute la ville était là, enthousiaste et exaltée. Knox n’était pas un homme religieux, mais il avait beaucoup de respect pour tout ce qui rendait hommage à l’aspect à la fois merveilleux et étrange du monde.
— Je sais ce que vous vous dites, continua Franklin, mais c’était un sujet en vogue à l’époque.
Il indiqua le chemin à Knox d’un geste de la main.
— Et puis, ajouta-t-il en montrant la couleur de sa peau, j’étais un jeune Noir avide de se faire une place dans le monde universitaire. Dans le monde universitaire grec. J’avais besoin de faire mes preuves. Le meilleur moyen n’était-il pas d’affirmer que l’Europe était à l’origine de sa propre culture ?
Il entraîna Knox entre deux emblèmes légendaires d’Éleusis : le puits près duquel Déméter avait pleuré Perséphone, sa fille disparue ; et le Plutonion, la grotte qui menait jadis aux Enfers.
— Je suppose que vous connaissez la thèse de l’invasion dorienne dans les grandes lignes, dit-il.
— Des tribus aryennes venues du nord-ouest de la Grèce ou peut-être des Balkans auraient provoqué la chute de la civilisation mycénienne et le développement de la culture grecque classique, résuma Knox.
— Une théorie assez convaincante, à un détail près...
— Il n’existe aucune preuve.
— Absolument. Bien sûr, je le savais à l’époque, mais cela ne m’a pas semblé important. Tous les grands esprits que j’admirais y croyaient, alors il y avait forcément une part de vérité. Pourquoi auraient-ils menti ? Ou, pour être plus charitable, pourquoi se seraient-ils abusés ?
— Et c’est là que Petitier est arrivé, suggéra Knox.
— En effet, confirma Franklin en
Weitere Kostenlose Bücher