Le secret d'Eleusis
neutre.
— Je vous ferai visiter tout à l’heure, si ça vous tente. Mais allons d’abord nous faire un café. Vous me parlerez de ce qui vous amène ici.
— Je ne sais pas exactement, avoua Gaëlle. J’essaie d’en savoir plus sur Petitier, mais je n’ai pas la moindre piste de départ.
— Alors prenez le temps de vous reposer un peu. J’ai quelques coups de fil à passer.
III
Knox et Franklin étaient arrivés au Télestérion, la grande cour rectangulaire où les mystères étaient jadis célébrés. Les hauts murs qui assuraient le secret des rites s’étaient effondrés depuis longtemps pour ne laisser que leurs contours. Et pourtant, c’était un endroit très évocateur.
— Africaines ? s’écria Knox en souriant. N’est-ce pas une affirmation un peu audacieuse ?
— Très audacieuse, admit Franklin. Mais cela ne signifie pas qu’elle est erronée. Ce n’est pas aussi simple, bien sûr, comme toujours. Cela dit, je la maintiens, pour l’essentiel en tout cas. Le monde occidental a un secret honteux : l’âge d’or d’Athènes n’a pas surgi ex nihilo , grâce à un épanouissement extraordinaire du génie grec. Il a suivi l’évolution globale de la pensée. Et une grande partie, voire la plupart des connaissances que nous attribuons aux Grecs ont, en réalité, été acquises en Égypte et simplement démocratisées en Grèce. Du reste, les Grecs anciens l’ont eux-mêmes admis. Non seulement ils considéraient les Égyptiens comme des pionniers en matière de religion, de philosophie et de pensée, mais ils étaient nombreux à aller parfaire leur éducation en Égypte. Thalès, le père de la philosophie, y a passé des années, tout comme Pythagore, le père des mathématiques, Solon, le père de la justice et de la démocratie, et Hérodote, le père de l’Histoire. Archimède et Anaximandre y ont également séjourné, de même que Démocrite, Hipparque, Platon et...
— Vous n’avez pas besoin de me convaincre de l’influence que les Égyptiens ont exercée sur les Grecs, l’interrompit Knox, sachant que la liste était longue.
— Excusez-moi, j’oubliais que vous êtes archéologue.
Franklin s’arrêta un instant pour admirer la vue sur le mur d’enceinte, les toits en terre cuite et, au-delà, le port de plaisance, où les mâts des bateaux oscillaient et cliquetaient dans la brise légère.
— Mais votre point de vue est une exception à la règle, ajouta-t-il pour se justifier, ce qui n’aurait pas été le cas il y a, disons, quatre cents ans. À l’époque, la plupart des érudits occidentaux acceptaient l’idée rapportée par les Grecs de la primauté égyptienne.
Il regarda Knox dans les yeux.
— Les Européens font de leur mieux pour l’oublier, affirma-t-il, mais il n’y a pas que les États-Unis qui se soient enrichis grâce à l’esclavage. Cela a dû être un peu embarrassant pour les aristocrates européens du siècle des lumières de posséder des esclaves, vous ne croyez pas ? Ils aimaient à se considérer comme des hommes bons, comme nous tous. Mais il devait être difficile pour eux de donner le change lorsqu’ils expédiaient leurs semblables par milliers vers leurs plantations, avant de les fouetter à mort uniquement parce qu’ils n’avaient pas la bonne couleur de peau. L’idée que les Africains aient pu être égaux, voire supérieurs aux Occidentaux, a dû leur être intolérable. Alors ils ont fait la seule chose qu’ils pouvaient faire : ils ont réécrit l’Histoire pour faire taire l’Afrique. L’invasion dorienne n’est donc qu’une théorie parmi d’autres, inventée par les Occidentaux, pour faire de l’histoire de la Grèce classique le triomphe des Blancs.
Knox posa un regard intrigué sur Franklin, dont la colère était palpable.
— Ce n’est pas parce qu’une théorie ne se vérifie pas quelle a été élaborée par malveillance, fit-il remarquer.
— Je vous dis simplement ce que je pensais à l’époque, rappela Franklin sur un ton peu convaincant. J’étais jeune et j’avais consacré l’ensemble de ma courte carrière universitaire à défendre une théorie qui se révélait fausse. Il y avait de quoi être un peu amer. Et puis, d’un certain côté, jeter un pavé dans la mare avait quelque chose de grisant. J’avais envie de crier la vérité au monde, sans me soucier du politiquement correct.
Ils gravirent un escalier en bois étroit, qui menait à l’avant-cour du
Weitere Kostenlose Bücher