Le secret d'Eleusis
alors je me suis présenté à sa porte à dix-neuf heures tapantes. Mais ce n’est pas lui qui m’a ouvert. C’est sa fille, Maria.
— Ah ! s’écria Knox en souriant.
— Comme vous dites... C’est dans ces moments-là qu’on sait qui on est vraiment. Un simple regard de Maria a suffi à me convaincre de redéfinir mes priorités. J’ai honte, croyez-moi. Et d’un autre côté, j’en suis extrêmement fier.
— Était-ce réciproque ?
— Maria est devenue ma femme, mais il m’a fallu plusieurs années pour la séduire. Evidemment, au départ, je ne lui ai pas fait bonne impression. Aujourd’hui encore, elle ne cesse de se moquer de ma naïveté. Elle m’avait raconté que son père avait été retenu à l’université, qu’un imbécile avait déclenché l’alarme incendie.
Franklin secoua la tête en repensant aux ruses sournoises du destin.
— Elle s’est assise à côté de moi, se souvint-il, et, lorsque son père est rentré, j’étais fou amoureux. Je ne trouvais pas d’assez plates excuses. J’ai promis à mon mentor de ne plus jamais le mettre dans l’embarras, ni de faire le moindre tort à l’université. Il m’a demandé de couper les ponts immédiatement et définitivement avec Petitier, qu’il considérait comme le véritable responsable de cette affaire. J’ai accepté. Et il a eu l’amabilité de me donner une seconde chance.
— Et comment Petitier l’a-t-il pris ? s’enquit Knox.
— Aucune idée. Je ne l’ai jamais revu. J’ai déménagé pendant qu’il était à son travail. Et puis, il a quitté Athènes peu de temps après. Mais ça, c’est une autre histoire. La Mission archéologique britannique avait organisé une série de conférences à la mémoire de sir Arthur Evans, en hommage à ses fouilles à Cnossos. Apparemment, au moment où la salle a été invitée à poser des questions, Petitier s’est levé et s’est lancé dans une diatribe avinée. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La Mission archéologique française, au comble de l’embarras, l’a renvoyé et il est parti peu après.
— Qu’a-t-il critiqué, exactement ?
— Il a accusé Evans et ses successeurs de faire avec la Crète minoenne ce que d’autres avaient fait en défendant la théorie de l’invasion dorienne, c’est-à-dire de réécrire l’Histoire en faveur des Grecs et aux dépens de l’Égypte et du Proche-Orient.
Franklin regarda Knox pour voir s’il le suivait et estima qu’une explication était nécessaire.
— Jusqu’en 1898, date de son indépendance, la Crète a fait partie de l’Empire ottoman, précisa-t-il. Mais l’indépendance ne l’intéressait pas. Le jeune gouvernement crétois voulait être rattaché à la Grèce. Il a donc mis en avant les liens historiques de l’île avec la Grèce et minimisé ceux qu’elle avait entretenus avec l’Égypte et la Turquie. C’est à cette époque qu’Evans a commencé à effectuer des fouilles à Cnossos. Cela dit, il n’avait pas besoin de prétexte pour rendre la Crète plus grecque que nature. Il était si pétri de mythes et de légendes grecs qu’il a trouvé la salle de bains d’Ariane dès la première semaine de fouilles. Pas une salle de bains, ni même une salle de bains royale, non, la salle de bains d’Ariane. Et puis il a découvert la salle du trône de Minos et ainsi de suite. Ce n’était pas de l’archéologie. C’était la fabrication pure et simple d’un mythe.
Knox éclata de rire.
— Et Petitier a tenu ces propos lors de la commémoration des travaux d’Evans ?
— Absolument. Il faut reconnaître qu’il y a du vrai dans ce qu’il a dit. Si Cnossos avait été fouillée par un égyptologue, par exemple, nous aurions sans doute une vision tout à fait différente de la Crète minoenne. Nous la considérerions comme la limite occidentale de la Méditerranée orientale et non comme la frontière méridionale de la Grèce. Hélas, lorsqu’une idée imprègne les consciences, il est pratiquement impossible de faire marche arrière. Personne ne le sait, mais de nombreux artefacts égyptiens ont été mis au jour dans le monde minoen : poteries, bijoux, ivoire d’hippopotame, sceaux, scarabées, instruments de musique, armes, lampes et j’en passe. La culture minoenne est réputée unique en raison de son style artistique particulier, inspiré de scènes de taurokathapsie. Pourtant, des preuves de la pratique de la taurokathapsie
Weitere Kostenlose Bücher