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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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Majesté, je creuserai s’il le faut le sol de mes dents, mais je jure sur la sainte croix de restituer le trésor des Templiers à votre descendance. Que votre exécution soit vengée !
    Il s’agenouilla devant un portrait de Louis XVI sous lequel se consumaient des moignons de bougies et s’étiolait un bouquet de roses. Des reproductions des souverains de France tapissaient les murs. Des plans du Marais tracés à la main, ainsi qu’une lithographie de l’ancien enclos du Temple festonnaient une toilette de marbre. Hormis ces ornements, son appartement évoquait davantage la tanière d’un ours des Carpates que celui d’un aristocrate parisien. Il semblait que le plafond fendillé eût dégorgé une pluie d’objets. Il y avait un tas d’épées rouillées entassées près du lit, des piles de vêtements, de bouquins, et un véritable déluge de paperasses aux destins multiples : minutieusement pliées, en boulettes, froissées, ou réduites à l’état de confettis.
    Le vieil homme se redressa en se massant les reins. On frappa.
    — Qui va là ?
    Sans un mot, la cuisinière entra, porteuse d’un plateau qu’elle déposa sur le coin d’un bureau.
    — Votre chocolat est servi, buvez chaud. Vous devriez me laisser faire le ménage, c’est pas raisonnable. Une bauge !
    — Silence, maritorne ! Votre balai ne franchira jamais le seuil de ce sanctuaire, dussé-je afin de le chasser livrer mon ultime combat !
    Il brandit une rapière ébréchée en rugissant :
    — « Et merde pour la reine d’Angleterre qui nous a déclaré la guerre !
    Habituée à de tels éclats, Bertille Piot haussa les épaules et sortit. À peine la porte close, elle colla son œil au trou de la serrure. Le spectacle qui allait suivre lui remonterait peut-être le moral, en berne à cause de la mort de Monsieur.
    Après avoir rôdé plusieurs minutes autour du bureau, comme s’il tentait d’évaluer les forces ennemies, Fortunat de Vigneules se cana dans un fauteuil gris de poussière. Simulant l’indifférence, il prit sur le plateau le pot de chocolat et en emplit une tasse, puis, la lippe dégoûtée, il inclina celui de crème fouettée au-dessus du liquide fumant. À la jubilation de Bertille Piot, le vieil homme apostropha son breuvage.
    — Vous voilà de nouveau, messire au blanc toupet ! Je vous avais pourtant défendu de reparaître à ma table. C’est le comble de l’inouïsme ! Comment ? Vous protestez ? Tout beau, mon cher. Vous savez pertinemment que vous m’êtes interdit. Mon foie et mes artères pâtissent de votre arôme. Chercheriez-vous chicane à ma santé ? Je vous tourne le dos.
    Il affecta de se plonger dans la lecture d’un manuscrit, mais très vite reprit l’offensive.
    — Qu’insinues-tu, pendard ? Tu ne serais venu que pour prendre définitivement congé de moi ? Allons donc, hier tu l’affirmais… Tu insistes ? Assez de palabres ! Disparais, boisson néfaste, tu ne me changeras pas en valétudinaire ! Que le démon te patafiole !
    Bertille Piot riait tellement qu’elle s’en étranglait. Elle vit la main du vieillard se tendre, hésiter, saisir l’anse de la tasse.
    — Soit, je serai magnanime, c’est la dernière fois, entends-tu ? Si tu oses te montrer demain, je te flanquerai au fond des latrines !
    Fortunat de Vigneules savoura son chocolat avec componction, se pourlécha et soupira.
    — Ah ! Canaille, c’est que tu es diablement délectable…
    La représentation était terminée, Bertille Piot décampa. Presque aussitôt la porte s’ouvrit sur le vieil homme qui se dirigea à pas de loup le long du couloir aboutissant à l’escalier. Au rez-de-chaussée, il se hâta en direction d’un vestibule où s’alignaient trois entrées menant aux caves. Il se glissa dans la première. Sur une tablette l’attendaient un candélabre et une boîte d’ allumettes.
    Au bas des marches, l’odeur de moisi le fit éternuer. Il traversa une salle voûtée encombrée de malles et de meubles estropiés, actionna une grosse clé dans un barillet et se retrouva à l’intérieur d’un caveau étroit où la puanteur était telle qu’il dut appliquer un mouchoir sur son nez.
    — Une bonne petite prise, et ça ira mieux. Il renifla bruyamment deux pincées de tabac.
    — Me voici, mes braves compagnons, au pied mes gaillards, au pied… Nogaret ! Artois ! Mortimer ! Toujours fidèles. Évreux est encore allé courir la gueuse, je parie. Taïaut !

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