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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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examinèrent la femme en paletot de laine noire qui s’adressait à elles et secouèrent la tête.
    — C’est pas ici.
    — Pourtant j’ai noté : 18, rue des Saints-Pères !
    Les deux commères s’entre-regardèrent.
    — On vous a enduite en erreur, affirma Mme Ballu.
    — Ah, non ! Je suis positive, j’ai là une lettre destinée au photographe qui loge au 18.
    — Attendez voir ! Il s’pourrait qu’ce soit M. Legris, dame, la photo c’est son dada, non ? demanda Euphrosine à Mme Ballu.
    — Pire qu’un dada, une marmotte, grommela la concierge.
    — Vous voulez dire une marotte ? Donc je ne me suis pas trompée. C’est à quel étage ?
    Euphrosine doutait que le libraire fût là, puisqu’il avait émigré dans le IX° arrondissement rejoindre celle qu’elle nommait pudiquement « l’objet de sa flamme ». Toutefois, si cette dame voulait avoir l’obligeance de la suivre, elle remettrait son pli à l’autre libraire, M. Mori, « le futur beau-père de mon fils », mâchonna-t-elle en aparté.
    Iris délaissa un instant le chevet d’Yvette et alla leur ouvrir. Son père s’était absenté, elle lui donnerait la lettre. Mue par la curiosité et une sympathie instinctive envers cette femme accorte qui lui ressemblait, Euphrosine sollicita la permission de lui offrir un café. Iris la pria de se considérer comme chez elle et s’excusa de devoir retourner auprès de sa petite malade.
    — Vous venez de loin ? s’enquit Euphrosine.
    — J’ai marché depuis la rue Charlot. C’est le jour où je visite ma mère, elle est chaisière au Luxembourg, on l’appelle la mère Ticket. Je me suis dit : « Bertille, tu feras coup double. »
    — Bertille, c’est un beau nom. Moi c’est Euphrosine. J’étais marchande de quatre-saisons, maintenant je suis cuisinière.
    — Pas possible ? Moi aussi, chez les du Houssoye.
    — Et vous avez combien de bouches à nourrir ? Bertille compta sur ses doigts.
    — Six, non, cinq, parce qu’il y en a un qui est mort. Sans omettre la domesticité.
    — Mais c’est le bagne ! Moi qui me plaignais…
    — Vous tracassez pas, je m’en tire sur des roulettes.
    J’ai plusieurs cordes à mon arc, des platées genre daube ou bourguignon, ou alors des méli-mélo de restes ! Tout l’art réside dans la liaison. Vous connaissez le proverbe : c’est la sauce qui aide le poisson à passer.
    — Vous m’en direz tant ! Et personne ne rechigne ?
    — Pensez-vous, ils en reprennent et ils engraissent.
    Avec un bon jus aux oignons épaissi de farine, il n’y a point de fainéants à table !
    — Encore faut-il avoir droit à la viande. La jeune fille que vous venez d’voir fait la saint-difficile, elle ne mange que des légumes, confia Euphrosine à voix basse.
    — Arrosez-les d’une lichette de moelle et tout le monde se tapera la panse, conseilla Bertille qui repoussa sa tasse et se leva malgré les protestations d’ Euphrosine.
    « Ventre affamé n’a pas d’ oreilles », songeait Joseph, saoulé d’entendre les romances de l’Italienne. Car elle était italienne, ça ne faisait pas un pli.
    « Amo… e disperato è l’amor mio ! »
     
    La filature avait été longue, du faubourg Sainte-Marguerite au Quartier latin. Ils avaient atteint la place de la Bastille où, installé aux abords de la gare, l’orgue avait égrené une première rengaine, puis les quais de la Seine, avec trois étapes près de ponts, ensuite le parvis de Notre-Dame, que l’Italienne s’était empressée de fuir à la vue de deux sergots.
    Elle avait fini par se planter rue de l’École-de-Médecine, au numéro 1, face à un magasin de vieux vêtements dont le propriétaire, le père Blancard, surnommé père Monaco, avait parlementé un moment avec elle. Il avait placé sur l’orgue un petit écriteau annonçant :
    À la trompette de Jéricho
    Friperie de premier choix
    Joseph supposait que cela équivalait pour la goualeuse à un permis de stationner aussi longtemps qu’elle le souhaiterait, moyennant un pourcentage sur sa recette.
    Dissimulé derrière la carriole d’une marchande de fleurs qui débitait des violettes à deux sous, Joseph poireautait depuis une heure, alternativement victime de la faim et du froid. Peut-être eût-il supporté ces inconvénients avec stoïcisme si la scène morbide de la rue de Nice ne se fût sans cesse rappelée à son esprit. L’idée de la mort ne l’effrayait pas trop, tant que cette mort

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