Le seigneur des Steppes
firent volte-face et s’élancèrent vers les cavaliers. Sans que Gengis eût
besoin de leur en donner l’ordre, ceux-ci abaissèrent leurs lances et
contraignirent les captifs à retourner dans la gueule ouverte entre les deux
forts. Malgré les moyens dont disposaient les Jin, une masse de trente mille
hommes était difficile à contenir et déjà des prisonniers avaient réussi à
franchir le goulet. Gengis continua à avancer en espérant que lorsqu’il
parviendrait sous les forts les défenseurs auraient épuisé leurs réserves d’huile
et de projectiles. Des corps jonchaient le sol, de plus en plus nombreux à
mesure qu’il approchait de l’étranglement.
Au-dessus de lui, le khan aperçut des archers, mais à sa
stupéfaction, ils tiraient sur les défenseurs de l’autre fort. Il ne comprenait
pas et ce retournement inattendu l’inquiétait. C’était peut-être un don du ciel
mais il n’aimait pas être surpris, surtout dans un endroit aussi resserré, entre
des parois rocheuses qui le pressaient et le forçaient à aller de l’avant.
Parvenu plus près des forts, il entendit les coups sourds
des catapultes, un bruit qu’il connaissait bien et qu’il comprenait. Il vit une
traînée de fumée traverser l’air au-dessus de la passe et une vague de feu se
répandre sur les murailles du fort de gauche. Des archers enflammés tombèrent
des créneaux et des cris de joie s’élevèrent de l’autre côté. Gengis sentit son
cœur faire un bond dans sa poitrine. Il ne pouvait y avoir qu’une explication
et il ordonna d’amincir la colonne pour qu’elle passe sur le côté droit de la
passe, le plus loin possible du fort de gauche.
Kachium ou Khasar s’était emparé du fort. Gengis leur
rendrait honneur après la bataille s’il était encore en vie.
Les cadavres étaient si nombreux que sa jument devait les
enjamber. Il sentit les battements de son cœur s’accélérer quand une barre d’ombre
lui traversa le visage. Il était presque sous les forts, au lieu d’extermination
conçu par des nobles jin depuis longtemps disparus. Des milliers de prisonniers
avaient péri et il y avait tant de corps que, par endroits, on ne voyait plus
le sol. Pourtant son « avant-garde » dépenaillée était passée et
courait à présent, prise de terreur. L’armée mongole n’avait subi quasiment
aucune perte et son chef exultait. En passant sous le fort de droite, il cria
en direction de ceux de son peuple qui avaient réussi à y pénétrer. Ils ne l’entendirent
pas, il ne s’entendait pas lui-même.
Penché en avant sur sa selle, il avait envie de mettre son
cheval au galop car on n’a guère le désir de rester au trot quand des flèches
sifflent dans l’air. Il se maîtrisa cependant et leva une main pour retenir ses
hommes. L’un des forts brûlait de l’intérieur, des flammes sortaient par les
meurtrières. Au moment même où Gengis levait les yeux, une plateforme en bois s’écroula.
Des chevaux privés de cavalier hennirent de peur, quelques-uns détalèrent dans
le sillage des prisonniers.
Le khan regarda le fond de la passe, avala nerveusement sa
salive en découvrant la ligne sombre qui la barrait à son extrémité. Elle y
était aussi étroite qu’entre les forts, défense naturelle parfaite. Il n’y
avait pas d’autre solution que passer sur l’armée de l’empereur jin. Déjà les
prisonniers s’en approchaient et les volées de carreaux claquaient comme le
tonnerre, si bruyamment dans cet espace confiné qu’il en eut mal aux oreilles.
Les prisonniers, fous de panique, couraient sous un déluge
de fer et Gengis montra les dents, conscient que son tour viendrait bientôt.
Le messager jin pâle de frayeur tremblait encore de ce qu’il
venait de voir. Rien dans sa carrière ne l’avait préparé au carnage de la passe.
— Ils ont pris l’un des forts, mon général. Ils ont
tourné les catapultes contre l’autre.
Agacé par cette absence de sang-froid, Zhu Zhong regarda
calmement l’homme.
— De toute façon, les forts n’auraient fait que réduire
sensiblement l’armée ennemie, rappela-t-il. C’est ici que nous l’arrêterons.
Le messager parut reprendre confiance devant l’attitude
ferme du général et poussa un long soupir. Zhu Zhong fit signe à l’un des
soldats qui se tenaient à proximité.
— Emmenez-le et arrachez-lui la peau du dos à coups de
fouet, ordonna-t-il. Quand il aura appris à être courageux, vous cesserez
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