Le seigneur des Steppes
nuages qui couronnaient les pics. En
bas, la plaine demeurait dans l’obscurité. La horde de prisonniers qu’il
pousserait dans la passe s’était tue. Ses guerriers avaient formé les rangs
derrière ses féaux et tapotaient de leurs doigts leur lance ou leur arc en
attendant son ordre. Mille hommes seulement resteraient au camp pour protéger
les femmes et les enfants. Il n’y avait aucun danger. Toute menace pouvant
venir de la plaine avait déjà été écrasée.
Gengis serra les mains sur la bride de sa jument alezane. Dès
le lever du soleil, mille jeunes tambours avaient commencé à battre le rythme
qui était pour lui le bruit de la guerre. Répercutée par les montagnes, cette
cadence accélérait les pulsations de son cœur. Ses frères étaient quelque part
devant, à demi gelés après leur longue ascension. Au-delà se trouvait la ville
qui avait répandu la semence jin parmi les siens pendant mille ans, qui les
avait achetés avec son or ou abattus comme des chiens quand elle l’estimait
nécessaire.
Le soleil levant resta un moment caché puis, d’un coup, une
lumière dorée inonda la plaine et Gengis sentit sa chaleur sur son visage. Le
moment était venu.
22
Kachium attendait tandis que l’aurore dessinait des doigts d’ombre
aux arbres. Gengis traverserait la passe le plus vite qu’il pourrait, mais il
lui faudrait cependant un moment pour parvenir au gros de l’armée jin. Autour
de Kachium, les hommes préparaient leurs arcs et dénouaient les cordelettes des
faisceaux de flèches de leurs carquois. Douze guerriers étaient morts au cours
de l’escalade, leur cœur explosant alors qu’ils haletaient dans l’air raréfié. Mille
autres avaient suivi Khasar. Même sans eux, ses archers pourraient encore tirer
près de neuf cent mille flèches sur l’ennemi le moment venu.
Il avait cherché en vain un endroit où ses hommes pourraient
prendre position sans être vus des Jin. Les guerriers seraient à découvert dans
la vallée, avec en tout et pour tout leurs volées de traits pour contenir une
charge.
Le camp jin se réveillait lentement dans le froid de l’aube.
La neige avait recouvert les traces d’une longue présence de l’armée impériale
et les tentes claires se dressaient, superbes et gelées, havre de calme ne
laissant pas soupçonner le nombre d’hommes prêts à combattre qu’il abritait. Malgré
la vue perçante dont il s’enorgueillissait, Kachium ne décela aucun signe que
les Jin avaient appris que l’armée de Gengis s’était enfin ébranlée. Des
centaines de sentinelles relevées à l’aube étaient allées manger et dormir
tandis que d’autres prenaient leur place. Rien encore ne trahissait un
sentiment d’urgence.
Malgré lui, Kachium éprouvait un certain respect pour le
général qui organisait le camp jin. Un peu avant l’aube, des éclaireurs avaient
parcouru la vallée sur toute sa longueur avant de rentrer. Manifestement, ils
ne s’attendaient pas à ce que l’ennemi soit proche car ils s’interpellaient d’un
ton léger et jetaient à peine un regard aux pics et aux contreforts. Ils
pensaient sans doute qu’ils passeraient l’hiver en sécurité, entourés d’un
aussi grand nombre d’autres sabres.
Kachium sursauta quand l’un de ses officiers lui tapa sur l’épaule
et lui tendit un pain fourré de viande, réchauffé par la chaleur de l’homme qui
l’avait pressé contre sa peau. Le frère de Gengis mourait de faim et il hocha
la tête en signe de remerciement en y plantant les dents. Il aurait besoin de
toutes ses forces. Même pour des hommes quasiment nés un arc dans les mains, tirer
cent flèches à toute vitesse mettrait les épaules et les bras à l’agonie. D’une
voix basse, il ordonna aux guerriers de former des paires, chacun s’appuyant à
l’autre pour pouvoir relâcher ses muscles et mieux lutter contre le froid. Ils
comprenaient tous l’importance d’une telle préparation, aucun d’eux ne voulait
faillir le moment venu.
Le camp jin demeurait silencieux. Kachium avala le reste du
pain, s’emplit la bouche de neige et attendit qu’elle ait suffisamment fondu
pour la faire glisser dans sa gorge. Il avait déterminé avec précision le
moment opportun pour son attaque. S’il se mettait en mouvement avant que Gengis
soit en vue, le général jin enverrait une partie de son immense armée contre
ses archers. S’il tardait à attaquer, Gengis perdrait l’avantage d’un second
front et risquait
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