Le seigneur des Steppes
le
traitement.
Le messager stupéfait et honteux inclina la tête et, pour la
première fois de la matinée, Zhu Zhong se retrouva seul. Il jura à mi-voix
avant de sortir de sa tente, avide d’informations. Il savait maintenant que les
Mongols poussaient des prisonniers jin devant eux en guise de bouclier. Il ne
pouvait se défendre d’admirer la tactique tout en cherchant un moyen de la
contrer. Des dizaines de milliers d’hommes sans armes mais affolés pouvaient se
révéler aussi dangereux qu’une armée s’ils atteignaient ses rangs. Ils
sèmeraient la perturbation parmi les arbalétriers qu’il avait postés en travers
de la passe. Il ordonna à un garde d’envoyer d’autres chariots de carreaux aux
premières lignes et les regarda s’éloigner lentement.
Le khan était habile mais les prisonniers ne lui serviraient
de bouclier que tant qu’ils seraient en vie. Zhu Zhong demeurait confiant. Les
Mongols devraient se battre pied à pied. Faute d’espace pour manœuvrer, ils
seraient aspirés dans la nasse et anéantis.
Il se demanda un instant s’il devait se rapprocher du front.
D’où il se tenait, il voyait une fumée noire monter du fort tombé aux mains de
l’ennemi et il jura de nouveau. La perte était humiliante, mais l’empereur ne s’en
soucierait plus, une fois le dernier barbare tué.
Zhu Zhong avait prévu de massacrer un grand nombre de
Mongols avant d’ouvrir un chemin dans son armée. Ils se jetteraient dans la
brèche et leur fer de lance se retrouverait assailli de toutes parts par des
soldats jin aguerris. C’était une bonne tactique. L’alternative consistait à
bloquer totalement la passe. Il s’était préparé aux deux options et pesait l’une
contre l’autre en s’efforçant de montrer un visage confiant aux hommes qui l’entouraient.
D’une main qui ne tremblait pas, il prit un pichet d’eau et en remplit une
coupe qu’il but lentement en laissant son regard glisser le long de la passe.
Du coin de l’œil, il aperçut un mouvement dans la vallée
couverte de neige et se figea. Des lignes d’hommes sortaient de la forêt et
formaient les rangs sous ses yeux.
Zhu Zhong jeta sa coupe au moment où des messagers
pénétraient au galop dans le camp pour le prévenir. On ne pouvait pas franchir
les pics, c’était impossible. Malgré sa stupeur, il réagit avant même que les
messagers arrivent à lui :
— Les régiments de cavalerie de un à vingt, formez les
rangs ! Gardez le flanc gauche et enfoncez les lignes mongoles !
Des estafettes coururent transmettre les ordres et la moitié
de sa cavalerie se détacha du gros de l’armée. Zhu Zhong vit les rangs mongols,
à peine constitués, marcher vers lui dans la neige. Il s’exhorta à ne pas céder
à la panique : ils venaient d’escaler les pics, ils devaient être épuisés.
Ses hommes les feraient déguerpir.
Il eut l’impression qu’il fallut une éternité aux vingt
mille cavaliers impériaux pour se mettre en position sur le flanc gauche et les
lignes mongoles avaient alors fait halte. Zhu Zhong serra les poings, entendit
ses officiers transmettre les ordres et ses cavaliers se mirent à trotter en
direction de l’ennemi. Autant qu’il pouvait en juger, ils n’étaient pas plus de
dix mille. Des fantassins ne pouvaient résister à une charge disciplinée. Ils
seraient exterminés.
Sous le regard de leur général, les cavaliers accélérèrent, le
sabre brandi. La bouche sèche, Zhu Zhong se força à regarder de nouveau la
passe. Les Mongols s’étaient abrités derrière une masse de prisonniers, ils s’étaient
emparés d’un des forts et ils l’avaient pris à revers en passant par la
montagne. S’ils n’avaient pas d’autres surprises en réserve, il pouvait encore
les briser. Un instant, son assurance chancela et il envisagea d’ordonner de
bloquer la passe. Non, il n’en était pas encore réduit à cela. Son respect pour
le khan mongol avait crû, mais le général gardait sa confiance à la cavalerie
impériale qui déferlait dans la vallée.
23
À neuf cents pas de distance, la cavalerie jin se mit au
galop. C’est encore trop tôt, pensa Kachium, qui attendait calmement avec ses
neuf mille hommes. Au moins, la vallée n’était pas assez large pour permettre
aux Jin de l’attaquer par le flanc. Il sentait la nervosité de ses guerriers, qui
n’avaient jamais dû affronter à pied une charge de cavalerie et comprenaient
maintenant ce que leurs ennemis
Weitere Kostenlose Bücher