Le seigneur des Steppes
percés de flèches.
L’épaule douloureuse, Kachium tira sa quarantième flèche et
attendit que ses hommes fassent de même. Devant lui, la vallée était jonchée de
cadavres, de chevaux tombés qui battaient des jambes, de soldats ensanglantés
rampant sur la neige. En dépit des officiers qui les pressaient de repartir à l’attaque,
les Jin étaient incapables de retrouver l’élan nécessaire pour un nouvel assaut.
Kachium s’élança sans donner d’ordre et ses hommes l’imitèrent.
Il compta vingt pas puis laissa son excitation prendre le dessus sur son bon
sens et en franchit vingt de plus, s’approchant dangereusement de l’ennemi. Cent
pas seulement l’en séparaient quand il planta dans la neige un autre faisceau
de vingt flèches et dénoua la ficelle qui les entourait. Les Jin gémirent de
frayeur quand ils virent les arcs se bander de nouveau. La panique se propagea
dans leurs rangs et lorsque les premières flèches les touchèrent, ils s’enfuirent
comme un seul homme.
Les Mongols tiraient méthodiquement sur tout ce qu’ils
voyaient. Les officiers tombèrent les premiers et Kachium poussa un cri sauvage
quand l’affolement gagna les rangs de derrière, contaminés par la peur.
— Ralentissez ! ordonna-t-il à ses hommes.
En lâchant sa cinquantième flèche, il envisagea d’avancer
encore pour achever de mettre l’ennemi en déroute. Malgré son envie de se
lancer à la poursuite des fuyards, il opta pour la prudence. Ses hommes
ralentirent le rythme de leur tir comme il l’avait ordonné et leur précision s’accrut
encore, plusieurs centaines de Jin s’écroulant, percés de plus d’une flèche. Soixante,
et les carquois étaient à présent légers sur les dos mongols.
Kachium ordonna une pause. L’attaque était brisée et de
nombreux cavaliers battaient en retraite à bride abattue. Mais ils pouvaient
encore reformer les rangs et si Kachium ne craignait pas une nouvelle charge, il
entrevit la possibilité de porter la déroute au cœur même de l’armée ennemie. Approcher
encore serait dangereux, il le savait. Si les Jin parvenaient à ses lignes, la
victoire pouvait encore pencher en leur faveur. Kachium regarda les visages
souriants autour de lui et partit d’un grand rire.
— Me suivrez-vous ?
Ses hommes l’acclamèrent et il repartit, encochant une
nouvelle flèche. Cette fois, il la garda sur sa corde et marcha jusqu’aux
premiers Jin gisant à terre. Les Mongols se saisirent de leurs sabres, les
glissèrent sous leur ceinture. Kachium faillit être renversé par un cheval sans
cavalier qui filait le long de la ligne. Il tendit le bras pour l’attraper par
la bride, le manqua, mais l’animal fut arrêté un peu plus loin par deux de ses
hommes. Des centaines d’autres bêtes erraient sur le champ de bataille et il en
stoppa une qui renâclait et reculait, effrayée, devant la ligne d’archers. Kachium
la calma en lui caressant les naseaux et vit les cavaliers jin commencer à
reformer les rangs. Il leur avait montré ce que son peuple pouvait faire avec
un arc, il était peut-être temps de leur montrer ce qu’il pouvait faire à dos
de cheval.
— À vos sabres, et en selle !
Une fois de plus, l’ordre fut transmis le long de la ligne
et les Mongols enjambèrent joyeusement les morts pour monter les chevaux jin. Il
y en avait plus qu’assez, même si certains avaient l’œil écarquillé de terreur
et la robe éclaboussée de sang. Kachium sauta en selle, se dressa sur ses
étriers pour observer l’ennemi. Il aurait voulu que Khasar soit là pour voir ça.
Son frère aurait adoré charger les Jin avec leurs propres chevaux. Poussant un
cri de défi, il talonna sa monture et se pencha en avant quand l’animal s’élança.
L’extrémité de la passe était un chaos lorsque Gengis fit
passer son cheval au-dessus des morts. Les arbalètes des soldats jin avaient
tué presque tous les prisonniers. Fous de terreur, les survivants s’étaient
jetés dans les rangs jin et le khan les avait vus tenter d’écarter de leurs
mains sanglantes armes et boucliers.
Le tir ennemi fut désorganisé lorsque des centaines de
rescapés se frayèrent un chemin dans le premier rang jin en battant
désespérément des bras. Quand ils trouvaient une arme, ils s’en servaient pour
frapper aveuglément autour d’eux jusqu’à ce que les soldats les taillent en
pièces.
Gengis continuait à avancer malgré les traits qui sifflaient
autour de lui.
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