Le seigneur des Steppes
l’homme qui avait abattu des murs moins épais.
— Pouvons-nous prendre cette ville ? lui
demanda-t-il.
Après un examen attentif, le maçon finit par secouer la tête.
— Aucune autre cité n’a des murailles aussi larges à
leur sommet. De cette hauteur, l’ennemi aura toujours une portée plus longue
que toutes les machines de siège que je pourrais fabriquer. Si nous
construisons des remparts de pierre, je parviendrai peut-être à protéger nos
catapultes à contrepoids, mais si je peux atteindre l’ennemi, il peut aussi m’atteindre
et faire de mes machines du petit bois.
Gengis se sentit terriblement frustré : être venu si
loin pour se retrouver bloqué par ce dernier obstacle… La veille encore, il
félicitait Kachium pour sa prise du fort de la passe et Khasar pour sa charge
inspirée. Il croyait alors que rien n’arrêterait son peuple, que la conquête
serait toujours facile. Ses guerriers le croyaient en tout cas et disaient à
voix basse que le monde lui appartenait. Devant Yenking, il imaginait le mépris
avec lequel l’empereur considérait sans doute les ambitions du khan mongol. Les
traits impassibles, il se tourna vers ses frères.
— Les familles trouveront de bons pâturages. Nous
aurons le temps de préparer l’assaut de cette ville.
Kachium et Khasar acquiescèrent d’un air hésitant. Eux aussi
se demandaient si la grande vague conquérante ne mourrait pas au pied des
murailles de Yenking. Comme le khan, ils s’étaient accoutumés à prendre des
villes avec une rapidité grisante. Les chariots des Mongols étaient à présent
lourdement chargés d’or et autres richesses.
— Combien de temps faudrait-il pour affamer une telle
ville ? demanda tout à coup Gengis.
Lian n’en savait pas plus long que les autres sur ce sujet, mais
il ne voulait pas reconnaître son ignorance.
— J’ai entendu dire que plus d’un million de sujets de
l’empereur vivent à Yenking. Nourrir autant de personnes est difficile à
imaginer, mais les Jin ont sûrement des greniers, des magasins, et ils savent
depuis des mois que nous arrivons.
Voyant Gengis plisser le front, il conclut :
— Cela pourrait prendre trois ans, voire quatre, seigneur.
L’estimation fit grogner Khasar mais le visage de Süböteï, le
plus jeune d’entre eux, s’éclaira.
— Ils n’ont plus d’armée pour briser un siège. Tu n’auras
pas besoin de nous garder tous ici. À défaut d’abattre leurs murailles, nous
pourrions piller les nouvelles terres qui se trouvent au-delà de Yenking.
— C’est vrai, approuva Gengis. Si je dois attendre que
l’empereur n’ait plus que la peau sur les os pour se rendre, au moins, que mes
généraux ne restent pas sans rien faire.
D’un geste circulaire, il indiqua le paysage qui s’estompait
au loin, trop immense pour qu’on puisse en imaginer l’étendue.
— Lorsque les familles seront installées, que chacun de
vous vienne me montrer une direction et elle sera à lui. Nous ne perdrons pas
notre temps à devenir gras et somnolents.
Süböteï eut un sourire radieux et son enthousiasme communicatif
chassa l’humeur sombre des autres.
— À tes ordres, seigneur.
Dans sa brillante armure laquée de noir, Zhu Zhong arpentait
rageusement la salle du couronnement en attendant que les ministres de l’empereur
le rejoignent. Dehors, les pies troublaient le calme du matin par leurs
jacassements querelleurs, et les liseurs de présages y verraient sans doute un
signe.
Les funérailles de l’empereur Wei avaient duré près de dix
jours, pendant lesquels plus de la moitié des habitants de la ville avaient
déchiré leurs vêtements et s’étaient couvert la tête de cendres avant que le
corps soit brûlé. Zhu Zhong avait enduré les oraisons interminables des
familles nobles. Personne cependant n’avait fait allusion à la façon dont l’empereur
était mort, pas sous le regard menaçant du général dont les gardes se tenaient
à proximité, la main sur la poignée de leur sabre.
Les premiers jours avaient été chaotiques, mais après que
trois ministres eurent été exécutés pour avoir pris la parole, toute résistance
cessa et les funérailles grandioses se déroulèrent comme si le jeune empereur
était mort dans son sommeil.
Les nobles gouvernant le pays s’étaient préparés à l’événement
bien avant qu’il survienne. L’empire Jin avait déjà survécu à des émeutes et même
au régicide. Après quelques
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