Le seigneur des Steppes
justifié. Cette guérison était extraordinaire et Gengis se
rappela la fois où le chamane s’était transpercé le bras sans que coule une
seule goutte de sang. Les Jin avaient, disait-on, des magiciens habiles. Il
serait peut-être utile d’avoir des hommes pouvant les égaler. Il soupira de
nouveau. Il n’avait jamais été dans ses plans que son frère en fasse partie.
Khasar traversait le camp d’un pas nonchalant en savourant l’animation
et le bruit. De nouvelles tentes s’élevaient chaque jour sur chaque espace
libre et Gengis avait ordonné de creuser des latrines profondes aux croisements
des allées. Une telle multitude d’hommes, de femmes et d’enfants posait de
nouveaux problèmes mais Khasar ne s’intéressait pas à ces détails. Kachium, en
revanche, y voyait des défis à relever et il avait constitué un groupe de
cinquante hommes robustes pour creuser les fosses et aider à monter les yourtes.
Khasar avisa deux d’entre eux qui construisaient un abri pour protéger de la
pluie les faisceaux de flèches neuves. De nombreux guerriers fabriquaient
eux-mêmes les leurs mais Kachium en avait réclamé une grande quantité pour l’armée
de Gengis, et devant chaque yourte sur le chemin de Khasar, femmes et enfants
fixaient les empennages avec du fil et de la colle. Les forges ronflaient et
crachaient toute la nuit pour fondre les pointes et, jour après jour, on apportait
de nouveaux arcs au champ de tir pour les essayer.
Khasar se réjouissait de voir son peuple aussi travailleur. Quelque
part, un nouveau-né se mit à brailler et ses vagissements le firent sourire. Ses
pieds suivaient le chemin que d’autres pieds avaient tracé en dénudant le sol
de son herbe. Lorsqu’ils partiraient, le camp ressemblerait à un vaste dessin
de contours qu’il s’efforça de se représenter.
Absorbé dans ses pensées, il ne remarqua pas tout de suite
ce qui se passait à une intersection de chemins. Un groupe de sept hommes s’efforçait
de plaquer au sol un étalon rétif. Khasar s’arrêta pour les regarder châtrer l’animal,
grimaça quand un sabot frappa un homme au ventre et l’expédia par terre, se
tortillant de douleur. Le cheval était jeune et puissant. Il résistait, opposant
sa force aux cordes que les hommes tenaient. Une fois qu’il serait à terre, ils
lui lieraient les jambes pour le livrer au couteau du castreur. Ils semblaient
cependant s’y prendre plutôt mal et Khasar secoua la tête, amusé.
Au moment où il contournait le groupe, le cheval rua de
nouveau, projetant un homme à terre. Avec un renâclement furieux, la bête
recula, écrasant un pied de Khasar, qui poussa un cri. L’homme le plus proche
réagit en le giflant d’un revers de main pour l’éloigner.
Pris d’une fureur égale à celle de la bête entravée, Khasar
riposta par un coup de poing. Étourdi, l’homme tituba. Les autres lâchèrent les
cordes et tournèrent vers Khasar des yeux menaçants. Le cheval en profita pour
détaler et fila à travers le camp, où d’autres étalons hennirent en le voyant
passer. Khasar faisait face sans crainte aux hommes qui s’avançaient vers lui, certain
qu’ils reconnaîtraient son armure.
— Vous êtes des Woyelas, dit-il pour détendre l’atmosphère.
Mes hommes vont rattraper votre cheval et vous le ramener.
Ils échangèrent des regards en silence. Notant leur
ressemblance, Khasar se rendit compte qu’il avait devant lui les fils du khan
woyela. Leur père était arrivé quelques jours plus tôt, avec cinq cents
guerriers et leurs familles. Il passait pour avoir un tempérament irascible et
un sens de l’honneur sourcilleux. Apparemment, ses fils avaient hérité ces
traits de caractère.
Khasar espéra un moment qu’ils le laisseraient partir, mais
celui qu’il avait frappé paraissait hors de lui et, enhardi par la présence de
ses frères, peu décidé à s’écarter.
— De quel droit es-tu intervenu ? lança l’un d’eux.
Khasar remarqua que l’animation du camp avait cessé autour
de lui. Les familles l’observaient et, la gorge serrée, il sut qu’il ne pouvait
pas battre en retraite sans faire honte à Gengis, voire sans perdre son emprise
sur le camp.
— J’essayais juste de passer, dit-il entre ses dents, se
préparant à l’assaut. Si ton nigaud de frère ne m’avait pas giflé, ton cheval
serait castré, maintenant. La prochaine fois, attache-lui d’abord les jambes.
Le plus solidement bâti des
Weitere Kostenlose Bücher