Le seigneur des Steppes
constructions de Lian aient été réduites en
petit bois ne contribuerait pas à élever leur moral.
Pendant que le khan regardait les Jeunes Loups risquer leur
vie, Kachium s’approcha et descendit de cheval. Si l’expression de son frère
était indéchiffrable, Gengis crut deviner chez lui une irritation aussi vive
que la sienne devant cet échec.
— Celui qui a bâti cette ville a pensé à sa défense, dit
Kachium. Nous ne la prendrons pas par la force.
— Alors, ses habitants mourront de faim, répliqua
Gengis. J’ai fait dresser la tente noire. Il n’y aura pas de quartier.
Kachium hocha la tête en observant son frère aîné. Gengis ne
montrait jamais le meilleur de lui-même quand il était réduit à l’inaction. Dans
ces moments-là, ses généraux l’abordaient avec circonspection. Quelques jours
plus tôt, Kachium l’avait vu épancher son humeur sombre avec une violence
étonnante. Les Mongols étaient alors confiants, mais il était clair maintenant
que le commandant de l’armée jin avait simplement attendu qu’ils amènent les
trébuchets à portée de ses arcs. L’homme était patient, et les ennemis patients
étaient les plus dangereux.
Sous l’effet de la colère, Gengis pouvait prendre des
décisions téméraires, Kachium ne l’ignorait pas. Pour le moment, il écoutait
encore ses généraux, mais à mesure que l’hiver avancerait, le khan serait tenté
d’essayer n’importe quoi et les guerriers pourraient en pâtir.
— Et si nous envoyions des hommes escalader les
murailles la nuit ? suggéra Gengis, comme en écho aux pensées de son frère.
Cinquante ou cent, qui mettraient le feu à la ville…
— On peut escalader les murailles, répondit Kachium
prudemment. Mais en haut, il y a autant de sentinelles que de mouches. Avant, tu
disais que ce serait gaspiller des hommes pour rien.
Gengis eut un haussement d’épaules agacé.
— Avant, nous avions des catapultes. Cela vaudrait
peut-être la peine d’essayer.
Kachium soutint le regard des yeux jaunes posés sur lui. Sachant
que c’était la vérité que voulait son frère, il répondit :
— D’après Lian, ils sont plus d’un million dans cette
ville. Ceux que nous y enverrions seraient pourchassés comme des chiens et les
soldats jin s’amuseraient à les tuer.
Gengis grogna, la mine sombre, et Kachium chercha un moyen d’alléger
son humeur :
— Le moment est peut-être venu d’envoyer les généraux
ravager la plaine, comme tu l’avais proposé. Nous ne remporterons pas ici de
victoire rapide et il y a d’autres villes sur ces terres. Laisse tes fils les
accompagner, ils apprendront à se battre.
Kachium vit le doute s’inscrire sur le visage du khan et
crut savoir pourquoi. Gengis faisait confiance à ses généraux, ils étaient
loyaux, tout le prouvait, mais jusqu’ici ils avaient fait la guerre sous ses
yeux. Il ne pouvait à la légère les envoyer au loin. Il avait été plus d’une
fois prêt à le faire mais, pour une raison ou une autre, il n’en avait pas
donné l’ordre.
— C’est la trahison que tu crains, frère ? demanda
Kachium avec calme. D’où viendrait-elle ? D’Arslan et de son fils Jelme, qui
sont avec nous depuis le début ? De Khasar ou de Süböteï, qui te vénère ?
De moi ?
L’idée amena sur les lèvres du khan un sourire crispé. Il
leva les yeux vers les murailles de Yenking, qui se dressaient toujours devant
lui, intactes. Avec un soupir, il prit conscience qu’il ne pouvait garder dans
cette plaine pendant trois longues années autant d’hommes débordant d’énergie. Ils
s’entretueraient avant longtemps, faisant le travail à la place de l’empereur.
— Dois-je envoyer toute l’armée ? Je resterai
peut-être ici seul pour inciter les Jin à sortir.
Kachium éclata de rire.
— Ils penseraient sûrement que c’est un piège et te
laisseraient tranquille. Mais si j’étais l’empereur, je ferais des guerriers de
tous les hommes valides pour me bâtir une armée à l’intérieur de la ville. Ne
dégarnis pas trop les troupes qui garderont Yenking, les Jin pourraient y voir
une occasion d’attaquer.
— On ne fait pas un guerrier en quelques mois, objecta
Gengis. Qu’ils s’entraînent, ces boutiquiers et ces artisans. Je leur montrerai
avec plaisir ce que cela signifie, d’être un guerrier-né.
— Avec une voix de tonnerre, sûrement, et une verge
foudroyante, dit Kachium, imperturbable.
Après un instant de
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