Le seigneur des Steppes
faire surveiller les murailles.
Khasar était trop fatigué pour discuter.
— Tu ne peux pas changer ce qui est arrivé. Mais si je
te connais bien, ça ne se reproduira pas.
— Une fois pourrait suffire. Si Gengis meurt qu’adviendra-t-il ?
Khasar refusait d’envisager cette éventualité. Comme il
hésitait à répondre, Kachium le saisit par les épaules, le secoua presque.
— Je n’en sais rien ! s’écria Khasar. S’il meurt, nous
retournerons chez nous, dans les monts du Khenti, et nous offrirons son corps
aux faucons et aux vautours. Gengis est un khan. Qu’attends-tu que je te dise ?
Kachium laissa ses bras retomber.
— Si nous faisions cela, l’empereur prétendrait avoir
remporté sur nous une grande victoire, murmura-t-il, comme s’il s’adressait à
lui-même. Dans un an, toutes les villes jin sauraient que nous avons battu en
retraite.
Khasar gardait le silence.
— Ne comprends-tu pas ? poursuivit son frère. Nous
perdrions tout.
— Nous pourrions revenir plus tard, argua Khasar en
bâillant.
— Dans moins de deux ans, eux viendraient chez nous. L’empereur
a vu de quoi nous sommes capables, il ne commettra pas deux fois les mêmes
erreurs. Si tu ne fais que blesser un ours et que tu t’enfuis, il te pourchasse.
— Gengis vivra, assura Khasar avec obstination. Il est
trop fort pour tomber.
— Ouvre les yeux ! Gengis peut mourir, comme n’importe
quel autre homme. S’il périt, qui mènera les guerriers ? Se diviseront-ils
de nouveau en tribus ? La partie serait alors trop facile pour les Jin
quand ils viendraient nous traquer.
Khasar vit les premières lueurs du jour rosir l’horizon
derrière Yenking. Il se réjouit que l’aube chasse enfin une nuit dont il avait
cru qu’elle ne finirait jamais. Kachium avait raison. Si Gengis mourait, le
peuple mongol se scinderait, les anciens khans affirmeraient de nouveau leur
autorité sur des tribus querelleuses.
— Je comprends tes arguments, dit-il à Kachium. Je ne
suis pas idiot. Tu veux que je t’accepte comme khan.
Kachium garda le silence. C’était en effet la seule solution,
mais si Khasar ne le voyait pas, le jour commencerait par un bain de sang quand
les guerriers se battraient pour rester unis ou se diviser.
— Oui, frère, reconnut-il enfin. Si Gengis meurt
aujourd’hui, les guerriers auront besoin d’une main ferme sur leur nuque.
— Je suis ton aîné, rappela Khasar. Je commande autant
de guerriers que toi.
— Tu n’es pas l’homme qu’il faut pour conduire le
peuple, répondit Kachium, le cœur battant tant il espérait convaincre son frère.
Mais si tu penses l’être, je te prêterai serment d’allégeance. Les généraux
suivront mon exemple et emporteront la conviction des anciens khans. Je ne me
battrai pas contre toi, Khasar, l’enjeu est trop grand.
Khasar chassa la fatigue de ses yeux en les frottant de ses
poings, réfléchit. Il avait conscience que faire cette offre avait dû coûter
beaucoup à son frère. L’idée de se retrouver à la tête des guerriers était
grisante, il n’en avait même pas rêvé jusqu’à ce jour. Ce n’était pas lui
cependant qui avait vu les dangers menaçant une union encore fragile. Les
généraux compteraient sur lui pour régler leurs problèmes, pour trouver des
solutions auxquelles ils n’auraient pas pensé. Il devrait même échafauder des
plans de bataille et le triomphe ou la déroute dépendrait de sa décision.
L’orgueil de Khasar faisait la guerre à sa certitude que son
frère était plus apte que lui à commander. Il ne doutait pas que Kachium lui
accorderait un soutien total s’il devenait khan. Il mènerait son peuple et
personne ne saurait jamais que Kachium et lui avaient eu cette discussion. Comme
Gengis, il serait le père de tous les Mongols, responsable de les maintenir en
vie face à un empire déterminé à les anéantir.
Il ferma les yeux, laissa les visions glorieuses quitter son
esprit.
— Si Gengis meurt, c’est moi qui te prêterai serment, petit
frère. Tu seras khan.
Kachium eut un soupir de soulagement. L’avenir de son peuple
avait dépendu de la confiance que lui faisait Khasar.
— S’il meurt, je détruirai toutes les villes jin par le
feu, en commençant par Yenking, promit Kachium.
Les deux hommes se tournèrent vers les murailles de la ville,
unis par un même désir de vengeance.
Zhu Zhong se tenait sur une plateforme d’archers dominant la
plaine et le camp
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