Le seigneur des Steppes
fin
à ses jours avec une dague, mais l’arme glissa dans ses doigts moites et il ne
fit que s’égratigner la gorge. Khasar rengaina son sabre, saisit la main
grassouillette qui tenait encore le couteau et la guida à nouveau vers le cou. Perdant
courage, Shen Ti se débattit mais l’étreinte de Khasar était forte et il
trancha la gorge du Xixia, recula quand le sang jaillit et que l’homme battit
des bras en mourant.
— C’était le dernier, grogna Khasar.
Il examina les femmes, d’étranges créatures à la peau
poudrée et blanche comme du lait de jument mais attirantes. Leur odeur de
jasmin se mêlait à celle du sang et Khasar leur adressa un sourire vorace. Son
frère Kachium avait enlevé une jeune Olkhunut dont il avait fait son épouse et
il y avait déjà deux enfants dans sa yourte. La première femme de Khasar était
morte et il n’en avait pas d’autre. Il se demanda si Gengis le laisserait
épouser deux ou trois de ces étrangères. Cette idée le séduisait et il alla à
la fenêtre la plus éloignée pour contempler les terres des Xixia.
Le fort, juché sur les hauteurs, offrait une vue magnifique
sur une large vallée dont les flancs disparaissaient au loin dans la brume. Tout
en bas, il vit une étendue verte parsemée de fermes et de villages.
— Ce sera comme cueillir un fruit mûr, murmura-t-il
pour lui-même avec satisfaction.
Il se tourna vers Arslan, qui venait d’entrer dans la pièce,
et lui dit :
— Envoie un homme chercher mes frères. Il faut qu’ils
voient cela.
6
De la plus haute pièce de son palais, le roi regardait la
vallée du Xixia. La brume de l’aube se levait, découvrant un paysage d’une
grande beauté. S’il n’avait pas su qu’une armée était là-bas quelque part, au-delà
de l’horizon, la vue lui aurait paru aussi paisible que n’importe quel autre
matin. Les canaux brillaient sous le soleil comme des veines d’or, apportant
aux champs une eau précieuse. Il distingua même au loin les silhouettes de
paysans travaillant sans se soucier de l’armée qui, venue du désert, avait
pénétré dans le royaume.
Rai Chiang ajusta sa tunique de soie verte ornée de motifs
dorés. Son expression était calme mais ses doigts tiraient nerveusement sur un
fil et le tordirent jusqu’à ce qu’il casse. Il fronça les sourcils, baissa les
yeux pour voir s’il avait abîmé le vêtement. C’était une tunique jin, qu’il
avait mise pour lui porter chance. Dès qu’il avait appris l’invasion, il avait
envoyé deux de ses messagers les plus rapides réclamer des renforts, mais la
réponse tardait à venir.
Il soupira et ses doigts recommencèrent à maltraiter le
tissu sans qu’il s’en rende compte. Si le vieil empereur jin avait vécu, cinquante
mille soldats seraient déjà en marche pour défendre son petit royaume, il en
était sûr. Les dieux inconstants lui avaient ravi un allié sûr au moment même
où il avait besoin d’aide. L’empereur Wei était un étranger, et Rai Chiang
ignorait si le fils arrogant aurait la générosité du père.
Il réfléchit à ce qui différenciait leurs deux pays et se
demanda s’il aurait pu faire davantage pour s’assurer du soutien des Jin. Un de
ses lointains ancêtres, un prince jin, avait gouverné la province comme son
fief. Il n’aurait vu aucune honte à demander de l’aide. Le royaume xixia avait
été oublié dans le grand conflit qui s’était déroulé, des siècles plus tôt, lorsque
deux grands souverains s’étaient affrontés jusqu’à la partition de l’empire Jin.
Rai Chiang était le soixante-quatrième roi depuis cette période sanglante. Après
la mort de son père, il avait régné près de trente ans en gardant son peuple
hors de l’ombre des Jin, en cultivant d’autres alliances et en ne commettant
jamais d’offenses pouvant conduire les Jin à ramener de force son royaume au
bercail. Un jour, l’un de ses fils hériterait de cette paix précaire. Rai
Chiang payait le tribut, il envoyait ses marchands commercer avec les Jin et
ses guerriers grossir les rangs de l’armée impériale. En échange, il était traité
en digne allié.
Certes, Rai Chiang avait donné à son peuple un nouveau
système d’écriture qui ressemblait peu à celui des Jin. Le vieil empereur lui
avait fait parvenir des textes rares de Lao-tseu et du Bouddha Sakyamuni pour
qu’ils soient traduits. C’était là un signe d’acceptation, à défaut d’approbation.
La vallée du Xixia
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