Le seigneur des Steppes
stupide d’imaginer
qu’elles préserveraient la confidentialité de l’audience. Rai Chiang savait que
toute phrase importante prononcée dans la salle du trône devenait ragot de
marché avant le coucher du soleil. Il observa attentivement ses ministres, cherchant
un signe montrant qu’ils devinaient la peur nichée dans sa poitrine. Il n’en
décela aucun et son humeur se fit un peu moins sombre.
— Majesté impériale, Fils du Ciel, roi et père de tous,
entama le Premier ministre, je t’apporte une lettre de l’empereur Wei.
L’homme ne s’approcha cependant pas et remit le rouleau à un
esclave qui s’agenouilla devant le trône et tendit le message. Remarquant le
sceau personnel de l’empereur Wei sur le précieux papier, Rai Chiang reprit
espoir.
Il ne lui fallut pas longtemps pour parcourir la lettre et, malgré
sa maîtrise de soi, il plissa le front. Son contenu l’affecta au point qu’il la
relut à voix haute :
— « Il est à notre avantage que nos ennemis se
battent entre eux. Où est le danger pour nous ? Saigne ces envahisseurs et
les Jin vengeront ta mémoire. »
Les ministres digérèrent le message en silence. Un ou deux d’entre
eux pâlirent, visiblement perturbés. Il n’y aurait pas de renforts. Pire, le
nouvel empereur parlait d’eux comme d’ennemis, ils ne devaient plus voir en lui
l’allié qu’avait été son père. C’était peut-être la fin du royaume xixia que
ces mots annonçaient.
— Notre armée est prête ? demanda Rai Chiang sans
élever la voix.
Son Premier ministre s’inclina profondément avant de
répondre. Il ne pouvait se résoudre à informer le roi du manque de préparation
de ses soldats. Des générations de paix les avaient rendus plus aptes à
extorquer des faveurs aux prostituées de la ville qu’à exercer les arts de la
guerre.
— Les casernes sont pleines, majesté. Avec les gardes
royaux pour les conduire, nos hommes renverront ces animaux dans le désert.
Rai Chiang demeura silencieux, sachant que nul n’oserait
interrompre sa réflexion.
— Qui assurera la sécurité de la ville si ma garde
personnelle part combattre dans la plaine ? répliqua-t-il enfin. Les
paysans ? Non, j’ai nourri ces gardes pendant des années, il est temps qu’ils
gagnent ce qu’ils ont reçu de ma main.
Il ignora l’expression tendue de son Premier ministre. L’homme
n’était qu’un lointain cousin qui, s’il maintenait une stricte discipline parmi
les lettrés de la ville, était incapable de la moindre pensée originale.
— Faites venir mon général, que je puisse dresser un
plan de bataille, dit Rai Chiang. L’heure n’est plus aux discussions et aux
messages. Je réfléchirai à la lettre… de l’empereur Wei et à ma réponse quand
nous aurons fait face à la menace immédiate.
Les ministres sortirent d’une démarche raide trahissant leur
inquiétude. Le royaume était en paix depuis plus de trois siècles, nul dans le
palais n’avait souvenir des terreurs du temps de guerre.
— Ce lieu est parfait pour nous, déclara Kachium en
parcourant des yeux la plaine du Xixia.
Derrière lui se dressaient des montagnes, mais son regard s’attardait
sur des champs verts ou dorés, riches de futures moissons. Les guerriers
avaient avancé à une allure incroyable au cours des trois derniers mois, chevauchant
d’un village à l’autre sans presque rencontrer de résistance. Trois villes
étaient tombées avant que la nouvelle de l’invasion se répande et que les
habitants du petit royaume commencent à fuir. D’abord, les Mongols avaient fait
des prisonniers mais quand leur nombre approcha quarante mille, Gengis en eut
assez d’entendre leurs plaintes. Son armée ne pouvait nourrir autant de bouches
et il ne voulait pas les laisser derrière lui, même si ces paysans misérables
ne semblaient pas dangereux. Il avait donné l’ordre de les tuer et le massacre
avait duré une journée entière. On avait laissé les morts pourrir au soleil et
Gengis était venu voir les montagnes de cadavres pour s’assurer que son ordre
avait été exécuté. Après quoi, il n’y avait plus pensé.
Seules les femmes avaient été épargnées pour servir de butin
et Kachium avait trouvé parmi elles le matin même deux véritables beautés. Elles
l’attendaient dans sa yourte et il se surprenait à penser davantage à elles qu’à
la prochaine attaque. Il secoua la tête pour se ressaisir.
— Les paysans ne
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