Le seigneur des Steppes
était bel et bien séparée des terres jin, bordée par des
montagnes et par le fleuve Jaune. Avec une langue nouvelle, les Xixia
échapperaient davantage à l’influence jin. C’était un jeu dangereux et subtil, mais
Rai Chiang possédait la clairvoyance et l’énergie nécessaires pour tracer à son
peuple un bel avenir, il le savait. Il songea aux nouvelles routes commerciales
qu’il avait ouvertes à l’ouest, aux richesses qu’elles amenaient en retour. Tout
cela était compromis par les tribus surgies du désert en rugissant.
Rai Chiang se demanda si l’empereur Wei prendrait conscience
que les Mongols avaient contourné sa chère muraille du Nord-Est en pénétrant
dans le royaume xixia. Elle ne servait plus à rien, maintenant que le loup
avait trouvé la porte de l’enclos.
— Tu dois me soutenir, murmura-t-il pour lui-même.
Il enrageait de dépendre des Jin après que tant de
générations s’étaient efforcées de libérer son peuple de cette tutelle. Il ne
savait pas encore s’il pourrait supporter le prix que l’empereur Wei lui ferait
payer pour son aide. Le royaume ne serait peut-être sauvé que pour redevenir
une province jin.
Irrité par la perspective d’une armée jin sur ses terres. Rai
Chiang tambourina des doigts sur l’accoudoir de son trône. Il avait
désespérément besoin des Jin, mais que se passerait-il s’ils restaient après la
bataille ? Et que se passerait-il s’ils ne venaient pas du tout ?
Deux cent mille Xixia s’étaient déjà réfugiés derrière les
murs de Yinchuan, et des milliers d’autres étaient massés dehors devant les
portes closes. La nuit, les plus désespérés tentaient de les escalader pour
pénétrer dans la ville et les gardes royaux étaient contraints de les repousser
à coups de sabre ou d’une volée de flèches. Chaque jour le soleil se levait sur
de nouveaux cadavres ; des soldats sortaient pour les enterrer avant que
des maladies se propagent, s’échinant sous les regards hostiles de la foule. C’était
un travail macabre et déplaisant mais la ville ne pouvait nourrir qu’un nombre
limité de bouches et les portes demeureraient fermées.
Ceux qui avaient trouvé refuge dans la ville dormaient dans
les rues, les lits de toutes les auberges étant occupés depuis longtemps. Le
prix de la nourriture grimpait chaque jour et le marché noir prospérait, même
si les gardes pendaient toute personne coupable d’accaparer. Yinchuan était
devenue une cité de la peur où l’on attendait l’attaque des barbares et trois
mois s’étaient écoulés sans d’autres nouvelles que la destruction de tout ce
que l’armée de Gengis trouvait sur sa route. Les Mongols approchaient de
Yinchuan, on avait repéré leurs éclaireurs chevauchant au loin.
Le son d’un gong le fit sursauter. Rai Chiang n’arrivait pas
à croire que c’était déjà l’heure du dragon. Il était resté perdu dans ses
méditations mais elles ne lui avaient pas apporté la sérénité habituelle. Il
secoua la tête pour éloigner les esprits malveillants qui minent la volonté des
hommes forts. L’aube apporterait peut-être de meilleures nouvelles. Rai Chiang
se redressa sur son trône laqué et dissimula la manche effilochée sous son
autre manche. Après avoir reçu ses ministres, il se ferait apporter une autre
tunique et prendrait un bain frais pour que son sang coule plus paisiblement.
Le gong résonna de nouveau, les portes de la salle s’ouvrirent
en silence. Ses conseillers entrèrent l’un après l’autre, le bruit de leurs pas
étouffé par des chaussures en feutre portées pour ne pas érafler le parquet. Rai
Chiang prit une expression impassible, conscient que ces hommes puisaient leur
confiance dans son attitude. Qu’il montre le moindre signe d’inquiétude, ils
seraient emportés eux aussi par le torrent de panique qui déferlait dans les
rues de la ville, en bas.
Deux esclaves se postèrent de part et d’autre du roi pour l’éventer.
Rai Chiang remarqua à peine leur présence car il vit que son Premier ministre
avait des difficultés à garder son calme. Il se força à attendre que ses
conseillers se soient prosternés et aient prononcé le serment de loyauté. Paroles
anciennes et réconfortantes. Son père et son grand-père les avaient entendues
des milliers de fois dans cette même salle.
Lorsque enfin ils furent prêts à traiter des affaires du
jour, les hautes portes se refermèrent. Il aurait cependant été
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