Le seigneur des Steppes
approcher deux chariots tirés par des mules dont l’haleine
se dessinait dans l’air froid. Leurs conducteurs descendirent et parlèrent à
voix basse à Chen Li puis ils se mirent à décharger le bateau. Temüge plissa
les yeux mais ne parvint pas à distinguer ce qu’ils portaient. C’était lourd, à
en juger par leurs grognements. Attirés par la curiosité, Ho Sa et lui se
rapprochèrent, mais ce fut Khasar qui, passant près d’eux avec une masse sombre
sur l’épaule, leur révéla le mystère.
— De la soie, murmura-t-il à son frère. J’ai senti l’extrémité
d’un rouleau.
Il déposa son fardeau dans le chariot le plus proche avant
de les rejoindre.
— Si tout le reste est comme ça, nous sommes en train d’introduire
en fraude de la soie à Baotou.
Ho Sa se mordit la lèvre.
— En si grande quantité ? Elle doit provenir de
Kaifeng, ou même de Yenking. Une telle cargaison vaut cher.
— Combien ? demanda Khasar.
— Des milliers de pièces d’or, répondit le Xixia. De
quoi acheter cent bateaux comme celui-ci et une maison de maître. Ce Chen Yi n’est
pas un petit voleur. S’il a fait le choix de transporter la marchandise sur
cette jonque minable, c’est uniquement pour ne pas attirer l’attention de ceux
qui pouvaient être tentés de la lui prendre. Il aurait cependant tout perdu si
nous n’avions pas été à son bord.
Il réfléchit un moment avant de poursuivre.
— Ça ne peut provenir que des magasins impériaux et il
ne s’agit pas seulement d’échapper aux collecteurs de taxes. La soie doit
peut-être parcourir encore des milliers de lis avant d’arriver à sa destination
finale.
— Peu importe, argua Khasar. Nous devons toujours
pénétrer dans la ville et Chen Yi est le seul qui propose de nous y conduire.
Ho Sa prit une inspiration pour masquer une poussée de
colère.
— Si quelqu’un veut cette soie, nous sommes plus en
danger que nous ne le serions sans lui. Tu ne comprends pas ? Nous
courrons de grands risques en pénétrant dans Baotou avec cette marchandise. Si
les gardes de la ville fouillent les chariots, nous serons arrêtés et torturés.
Temüge sentit son estomac se tordre à cette perspective. Il
était sur le point d’ordonner à ses compagnons de s’éloigner des docks lorsque
Chen Yi apparut, portant une lanterne sourde éclairant à peine son visage.
— Grimpez dans les chariots, tous les trois.
Temüge chercha un prétexte pour refuser mais les matelots
étaient tous descendus du bateau et avaient la main sur le manche de leur
couteau. Manifestement, ils ne laisseraient pas leurs passagers disparaître
dans la nuit, pas après ce qu’ils avaient vu.
— Pas question que vous gagniez la ville à pied dans le
noir, dit Chen Yi. Je ne le permettrai pas.
Temüge tendit le bras pour monter dans un des chariots. Les
matelots laissèrent Khasar le rejoindre mais indiquèrent l’autre à Ho Sa et Temüge
se rendit compte qu’on les séparait délibérément. Il se demanda s’il verrait
Baotou ou si on le jetterait sur la route, la gorge tranchée. Au moins, ils
avaient encore leurs armes. Khasar portait son arc enveloppé dans du tissu et Temüge
avait son couteau.
Un sifflement bas fusa de l’ombre des bâtiments en bois. Chen
Yi y répondit de la même façon. Une forme sombre se détacha des docks et se
dirigea vers leur petit groupe. C’était l’un des soldats, ou un troisième. L’homme
prononça à voix basse des mots que Temüge ne réussit pas à saisir. Chen Yi lui
tendit un sac en cuir et l’homme grogna de plaisir en le soupesant.
— Je connais ta famille, Yan, dit Chen Yi. Je connais
ton village…
La menace était claire et le soldat se raidit mais ne
répondit pas.
— Tu es trop vieux pour garder les docks, poursuivit
Chen Yi. Tu as dans les mains de quoi prendre ta retraite, t’acheter une petite
ferme, peut-être, avec une femme et des poules.
L’homme hocha la tête en pressant le sac contre sa poitrine.
— Si je suis pris, Yan, j’ai des amis qui te
retrouveront, où que tu te caches.
Le soldat hocha de nouveau la tête. Sa peur était évidente
et Temüge se demanda de nouveau qui était Chen Yi, à supposer que ce soit son
vrai nom. On n’aurait pas confié de la soie volée dans les magasins impériaux
au capitaine d’une petite jonque.
L’homme retourna vers les bâtiments et Chen Yi monta dans l’un
des chariots. L’un des conducteurs eut un claquement de langue et
Weitere Kostenlose Bücher