Le seigneur des Steppes
trois
semaines.
— Merci de ton intérêt, Khasar, répliqua Temüge d’une
voix acerbe. J’ai réfléchi à la question. Nous accepterons son offre de nous
conduire en ville et nous franchirons les portes avec lui. Après quoi, nous
trouverons les hommes que nous cherchons et nous repartirons.
Malgré l’assurance de son ton, il ne pouvait se défaire d’un
mauvais pressentiment. Trouver les maçons de Baotou était une partie du plan qui
demeurait imprévisible. Personne ne savait s’ils seraient faciles à dénicher ni
si la ville recelait de grands dangers. Même s’ils y parvenaient, comment
ramèneraient-ils ces hommes contre leur gré alors qu’un appel à l’aide pouvait
faire accourir les soldats ? Temüge considéra le nombre de pièces d’argent
que Gengis lui avait données pour faciliter leur mission.
— Tu repars bientôt de Baotou, Chen Yi ? Nous ne
resterons peut-être pas longtemps en ville.
L’homme secoua la tête.
— Je suis chez moi à présent, j’ai beaucoup de choses à
faire. Je ne repartirai pas avant de nombreux mois.
Temüge se rappela le supplément que Chen Yi avait exigé pour
poursuivre sa route.
— Alors, ta destination a toujours été Baotou ! s’exclama-t-il,
indigné.
— Les pauvres ne vont pas à Baotou, répondit Chen Yi
avec un petit rire.
Ho Sa le regarda retourner vers ses matelots.
— Je ne lui fais pas confiance, murmura-t-il. Il ne se
soucie pas des soldats du quai. Il transporte une marchandise assez précieuse
pour susciter une attaque et il connaît apparemment tous les mariniers de la
région. Je n’aime pas ça.
— Nous resterons sur nos gardes, dit Temüge, chez qui
les mots du Xixia avaient pourtant provoqué un vent de panique.
Gengis avait mis tous ses espoirs en eux, mais il leur avait
peut-être confié une tâche impossible.
La lune se leva, mince croissant blanc ne projetant qu’une
faible lumière froide sur l’eau. Temüge se demanda si Chen Yi n’avait pas
planifié leur arrivée avec plus de soin encore qu’il ne l’avait pensé. L’obscurité
les gêna quand Chen Yi défit les amarres qui les reliaient au poteau planté
dans le fleuve et envoya deux matelots manier une godille à la poupe. De son
côté, le capitaine leur frayait un chemin vers le quai avec une longue perche. Des
mariniers à demi endormis juraient quand la perche heurtait la coque de leur
bateau avec un bruit sourd. Temüge eut l’impression qu’ils avaient mis une
éternité à s’approcher du quai et cependant Chen Yi ne semblait même pas essoufflé
par son effort.
Les docks étaient obscurs mais de la lumière brillait encore
aux fenêtres de quelques bâtiments en bois et un rire fusa quelque part. Apparemment,
ces repères suffirent à Chen Yi pour accoster et il fut le premier à sauter sur
le quai, un filin à la main pour amarrer la jonque. Il n’avait pas ordonné de
garder le silence mais aucun des matelots ne prononça un mot en démontant la
voile. Ils veillèrent aussi à ne pas faire trop de bruit en ouvrant les
écoutilles conduisant à la cale.
À peine Temüge avait-il poussé un soupir de soulagement d’avoir
enfin retrouvé la terre ferme qu’il aperçut deux formes sombres dans l’obscurité.
Il les examina en se demandant s’il s’agissait de mendiants, de prostituées ou
de mouchards. Les soldats qu’il avait repérés étaient sans doute à l’affût de
déchargements de nuit. Un cri ou un soudain bruit de pas signifierait la fin de
ce que ses compagnons et lui avaient accompli jusque-là. Ils avaient atteint la
ville désignée par Gengis, ou du moins le point du fleuve qui en était le plus
proche. Peut-être parce qu’ils touchaient au but, Temüge était convaincu que
tous leurs efforts allaient être anéantis lorsque, dépassant les autres, il
posa le pied sur les planches du quai et faillit perdre l’équilibre. Ho Sa lui
prit le bras pour l’empêcher de tomber tandis que Khasar disparaissait dans le
noir.
En outre, Temüge craignait encore une trahison de Chen Yi. Si
le capitaine de la jonque avait compris ce que signifiait l’arc mongol de
Khasar, il pouvait les dénoncer pour se tirer d’affaire. Dans une terre étrangère,
même avec l’aide de Ho Sa, ils auraient du mal à échapper à une poursuite, surtout
si ceux qui les pourchassaient savaient qu’ils se rendaient à Baotou.
Un grincement le fit porter la main à son poignard. Il se
força à se calmer en voyant
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